Rapidement après le drame des Sables d’Olonne, qui a coûté la vie à trois sauveteurs le 7 juin 2019, et sans attendre que les experts du Bureau d’enquête sur les événements de la mer – BEAmer – aient analysé l’accident et en tirent des recommandations, la SNSM a pris des mesures de précaution et créé des groupes de travail thématiques. Le BEAmer a publié son rapport sur les conclusions de l’enquête officielle le 28 septembre.
Rappel des faits
Forte tempête sur la zone ce 7 juin. Le Patron Jack Morisseau, canot de sauvetage tous temps en service aux Sables d’Olonne, se positionne à l’abri de la jetée ouest, prêt à intervenir, avec un équipage de sept personnes. Les sauveteurs constatent que la mer est difficilement praticable. Néanmoins, lorsque le centre d’organisation des secours (CROSS) est informé du déclenchement de la balise de détresse du Carrera – le petit bateau de pêche sorti plus tôt dans la journée – et demande à l’équipage d’essayer de le retrouver, celui-ci tente la sortie. Assez rapidement une puissante vague de grande hauteur fait exploser deux des trois vitres à l’avant de la passerelle et l’eau déferle à l’intérieur. Le canot devient très difficile à manœuvrer et reçoit de nouvelles vagues violentes par le travers, alors qu’il est plein d’eau. Il chavire, se redresse une première fois, puis ne se redresse plus. Il est poussé vers la côte, sur laquelle il s’échoue, toujours retourné.
Trois des sept sauveteurs périssent dans ce naufrage. Le canot était un canot ancien, construit en 1986, revenu provisoirement aux Sables d’Olonne pendant des réparations sur celui beaucoup plus récent dont dispose normalement la station. D’autres canots d’âge comparable sont encore en activité dans certaines stations et en attente du plan de renouvellement de la flotte, engagé, dont la livraison débutera fin 2021.
Suite au drame, la SNSM a pris des mesures conservatoires
Réflexion sur la décision d’engager ou pas un canot de sauvetage
Le principe de base était, est et reste le même : c’est au patron de service d’apprécier la situation et la capacité du canot et de son équipage à sortir. Il a clairement le droit de ne pas risquer l’embarcation et l’équipage, en informant le CROSS, même si celui-ci lui demande d’intervenir. Pour aider les patrons à prendre cette décision importante, un groupe de travail sur les recommandations opérationnelles a été constitué. Il travaille sur la conception d’aides à la décision, qui vont maintenant être soumises à réflexion collective sur le terrain et avec les principaux intéressés.
Vitrages des canots
Une campagne de vérification des épaisseurs réglementaires et de contrôle visuel (non destructif) a été conduite sur tous les canots tous temps les plus anciens. Les résultats sont positifs : aucun danger n’a été décelé. Des changements de vitrages pourront être réalisés sur certains canots à l’occasion des arrêts techniques. D’autre part, les vitrages du SNS 063, le sister-ship du canot accidenté, ont été démontés et soumis à des tests destructifs, dont les résultats ont alimenté les réflexions des experts.
Ces derniers préconisent, dans le rapport qu’ils viennent de publier, de s’assurer que tous les vitrages sont en verre non seulement feuilleté (ce qui limite le risque d’explosion complète), mais aussi trempé (ce qui augmente leur résistance mécanique).
La SNSM engage donc une deuxième campagne de vérifications, une des difficultés étant que la mention « verre trempé » n’est pas toujours visible sur les verres les plus anciens, même s’ils possèdent cette caractéristique.
Envahissement par l’eau du poste avant
Des cloisons légères et amovibles ont été ou sont en train d’être installées entre la passerelle et le poste avant, qui est en contrebas, dans tous les canots d’ancienne génération, par les stations, avec les conseils de la Direction technique. Souvent en bois ou en plastique, elles ressemblent aux panneaux sur glissière qui protègent l’intérieur des voiliers du gros d’une entrée d’eau en provenance du cockpit, sans être des portes totalement étanches. Ces dispositifs ont simplement vocation à limiter le passage de l’eau vers le poste avant, en minorant ainsi les conséquences (sur enfoncement du navire, carènes liquides).
Future flotte de la SNSM
Cet accident est arrivé au moment où la SNSM engageait un grand programme de renouvellement de sa flotte sur la base de modèles de conception nouvelle. Leurs caractéristiques ont été réexaminées au vu de l’accident. Les pare-brise des nouveaux navires seront collés dans leurs emplacements lors de la construction, ce qui évitera les phénomènes de vieillissement classiques relevés par les experts, entre autres sur les joints. D’autre part, si un bateau était quand même victime d’un envahissement par l’eau, celle-ci pourra dorénavant être évacuée rapidement et les commandes resteront étanches, permettant au navire de rester manœuvrant en « mode dégradé ».
Utilisation des gilets gonflables et situation d’un équipage à l’intérieur d’un navire qui chavire
Les réflexions du groupe de travail sont toujours en cours, mais les premières pistes méritent d’être évoquées, dès lors qu’elles concernent tous les marins, et pas seulement les sauveteurs.
Même si le gonflement automatique d’un gilet de sauvetage peut représenter une gêne pour se déplacer à l’intérieur du bateau et s’en extraire, ce risque est statistiquement bien moindre que celui de se retrouver à l’eau sans moyen de flottabilité. L’idée de s’en remettre à un déclenchement manuel n’est pas favorisée. Le marin peut être inconscient ou bien oublier, ou encore ne pas arriver à déclencher son gilet dans le stress de l’évacuation. Même l’idée que le patron autorise ceux qui sont supposés ne pas sortir de la timonerie (barreur, radio) à ne pas porter de VFI (vêtement à flottabilité intégrée) est discutée.
Le groupe de travail s’intéresse aussi aux autres dangers qui menacent un équipage dans ces situations. Aux sauveteurs, il recommandera très vraisemblablement à nouveau d’être attachés sur leur siège, dans toute la mesure du possible, et de porter leur casque à l’intérieur en cas de gros temps et sur ordre du patron. Il demandera aussi, sans doute, une vérification systématique de l’amarrage de tout l’équipement de la timonerie : notamment le matériel lourd, comme les pompes et les bouteilles de plongée, qui se transforment en projectiles redoutables en cas de chavirage. La consigne vaut pour tous les navires : sécurisez les batteries, les caisses à outils et autres ustensiles lourds.
Culture du retour d’expérience
Ces actions et réflexions s’inscrivent dans une évolution plus globale de l’organisation des Sauveteurs en Mer, qui structure une culture du retour d’expérience (RETEX) systématique. Une communication spécifique sur ce sujet a été faite à la dernière assemblée générale de l’association, le 30 septembre 2020, par Sylvain Moynault, l’un des quatre inspecteurs généraux, chargé de cette mission. Une adresse e-mail dédiée a été créée. Les stations sont fortement invitées à faire part de tous les accidents, incidents ou quasi-incidents, même minimes. Tout sera systématiquement analysé pour en tirer les leçons et optimiser les recommandations opérationnelles.
Article rédigé par Jean-Claude Hazera dans le magazine Sauvetage n°154 (4ème trimestre 2020)