Pourquoi avoir accepté d’être parrain du NSH1 ?
Philippe Croizon : Quand on me l’a proposé, j’ai d’abord été très surpris. Une bouffée de chaleur m’a envahi et je me suis demandé : « Pourquoi moi ? » Puis ce sentiment a laissé place à la fierté et j’ai dit oui en une fraction de seconde. C’est un véritable honneur. Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir être présent le jour de l’inauguration [Ndlr : un témoignage vidéo sera diffusé sur place à cette occasion]. Je souhaite que les femmes et les hommes soient fiers de leur nouveau bateau et de ses parrains, avec des valeurs communes. La SNSM, c’est le dépassement de soi, le travail d’équipe et l’aventure. Des valeurs qui ne m’ont pas quitté depuis l’accident. Le maître mot de ma vie aujourd’hui, c’est « partage ». Pour moi, c’est central chez les Sauveteurs en Mer : ils vivent des moments de partage intenses. Et je pense qu’il n’y a rien de plus riche que cela.
Comment avez-vous connu la SNSM ?
P.C. : Vous avez vu le film Camping ? Mes parents, c’est la même chose : cela fait cinquante-quatre ans qu’ils sont au même emplacement à la pointe de L’Herbaudière. Enfant, j’ai passé toutes mes vacances là-bas et j’y vais encore très souvent. Je me souviens très bien que, lors de la Fête de la mer, j’étais très admiratif de ces hommes et femmes en orange qui avaient l’air si fiers. J’avais les yeux écarquillés à l’époque et je les ai toujours en tant qu’adulte devant ce qu’ils accomplissent. Depuis, j’ai souvent été aidé par la SNSM lors de mes entraînements en mer. Je me souviens notamment d’un aller-retour entre Noirmoutier et Pornic où j’ai nagé pendant douze heures, et les bénévoles m’ont accompagné tout du long.
Vous êtes-vous déjà fait peur en mer ?
P.C. : Oui, ça m’est arrivé. Notamment lors de la traversée de la Manche, lorsque je suis arrivé au cap Gris-Nez [Ndlr : dans le Pas-de-Calais, à environ 15 kilomètres au nord de Boulogne-sur-Mer]. Nuit noire, sans lune. J’ai 20 kilomètres de plage à longer entre les caps Blanc-Nez et Gris-Nez. La marée me pousse en plein sur des rochers. Je suis dans des creux de 50 centimètres à 1 mètre. Mais je veux atteindre mon objectif. Deux nageurs se mettent à mes côtés pour assurer ma sécurité. Ils veulent que je sorte de l’eau car c’est dangereux. Je leur dis : « Vous ne m’arrêterez jamais ! » J’ai nagé 38 kilomètres, ils veulent m’arrêter à 800 mètres de l’arrivée. Impossible, même si je dois mourir. Je savais que si je réalisais cet objectif, j’allais changer ma vie.
Un dispositif de sécurité était donc en place pendant vos traversées ?
P.C. : Oui, bien sûr, on fait très attention. Il y a énormément de dangers en mer, et particulièrement dans la Manche : on peut tomber sur une plaque de fioul, une palette, un conteneur qui traîne. Il faut aussi pouvoir gérer le trafic maritime. On a donc besoin d’une sécurité de surface très importante. Quand je suis dans l’eau, j’essaye de ne penser à rien, de me concentrer sur ma nage. J’ai fait de la sophrologie pour me préparer mentalement à ne pas craquer le jour J. Ce jour-là, il ne peut rien m’arriver, je deviens un guerrier. C’est pour cela qu’il est primordial d’avoir des gens derrière soi, ainsi qu’un dispositif médical.
Le groupe est-il important dans vos exploits ?
P.C. : En France, demander un coup de main est vécu comme un moment d’échec. Cela veut dire que l’on n’a pas réussi. C’est culturel. Alors que ça devrait être naturel de demander de l’aide. Ce que j’aime dans mes aventures, c’est qu’à la fin, tous ceux qui ont participé se mettent à pleurer en disant : « Ça y est, on l’a fait. » Alors que tout le monde me disait que c’était impossible. Oser demander de l’aide, c’est ce qui m’a permis de réussir. Dans les moments extrêmes, le « je » n’existe pas. C’est « on » a réussi. Les gens retiennent l’exploit de la traversée de la Manche. Mais le plus beau, ce n’est pas la traversée, ce sont les deux années de travail, la création de l’équipe, la transformation du corps, les ingénieurs qui ont travaillé sur les prothèses. Cette cohésion qui s’est mise en place.
Oser demander de l’aide, c’est ce qui m’a permis de réussir.
Vous y voyez un lien avec l’action des bénévoles de la SNSM ?
P.C. : Les Sauveteurs en Mer ne partent pas quand la mer est calme. Ils sortent souvent quand elle est démontée. Et quand on part dans des situations risquées, il faut toujours compter sur le groupe. C’est ça qui permet de surmonter les difficultés. Mais ça n’enlève pas les risques. On l’a vu malheureusement il n’y a pas si longtemps, après le drame des Sables d’Olonne [NDLR : trois sauveteurs ont perdu la vie en 2019 lors d’un sauvetage]. J’ai été extrêmement ému par cet événement. À ce moment-là, j’avais oublié que les membres de la SNSM étaient des bénévoles. Je pensais qu’ils étaient professionnels, qu’ils étaient payés. Ce qu’ils réalisent au péril de leur vie sans rien demander en retour est incroyable.
Quels enseignements tirez-vous de vos exploits ?
P.C. : Mon leitmotiv aujourd’hui, c’est de dire que tout est possible. Que l’impossible, c’est nous, c’est dans notre tête. Maintenant, lorsque j’ai une idée, je me demande d’abord comment la réaliser. Et puis, seulement après, j’ai peur, mais c’est trop tard. Beaucoup de gens ont des rêves, des objectifs. Mais ils font passer la peur avant. Aujourd’hui, je n’ai pas de limites. Je n’ai plus envie de m’en fixer. J’en avais avant mon accident, plus maintenant. Et c’est sans doute pour ça que j’ai atteint mes objectifs. Par exemple, quand je commence à m’entraîner pour traverser la Manche, j’ai 40 ans, je suis gras comme un loukoum et je ne sais pas nager. Mais j’ai fait 4 000 kilomètres d’entraînement pour finalement nager 38 kilomètres le jour J. La réussite ne s’atteint que par le travail.
Article rédigé par la rédaction, diffusé dans le magazine Sauvetage n°161 (3ème trimestre 2022)