« C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme mais elle prend pas la femme qui préfère la campagne… » N’en déplaise au talentueux chanteur Renaud qui opère un retour remarqué, les femmes aussi ont le pied marin.
Même s’il est arrivé à Amandine Aigouy, comme à nombre de canotiers aguerris, de « vomir son quatre heures et son minuit aussi » lors d’une intervention, elle ne laisserait pour rien au monde sa place sur le pont de la vedette de la SNS 272 quand le CrossMed lance une alerte.
Elle est jeune, c’est une fille et elle met du vernis à ongles !
Pourtant, elle cumule les handicaps ! Elle est jeune, à peine 21 ans. C’est une fille et, en plus, elle met du vernis à ongles ! Elle a grandi dans la campagne vendéenne et a longtemps considéré la mer comme une vaste et sympathique piscine où, en nageuse accomplie, elle pouvait crawler jusqu’à l’épuisement. Niveau héritage génétique, ça n’était pas gagné non plus. Que des terriens.
Pas un seul marin, qu’il soit pêcheur, professeur de planche à voile ou même plaisancier du dimanche. Mais que s’est-il donc passé pour qu’une jeune fille, élevée à la brioche au beurre dans le bocage vendéen, quitte le doux cocon familial, traverse la France d’ouest en est, et s’engage comme canotière sur la vedette d’une station de sauvetage des Alpes-Maritimes ?
Suspense…. L’amour bien sûr, et aussi l’envie de se mettre au service des autres.
Une déception et un coup de foudre
Section sportive au collège, option triathlon puis natation au lycée, Amandine est une sportive accomplie. D’une nature plutôt passionnée, elle ne se ménage pas et pratique le sport à haute dose. Les articulations de ses genoux n’apprécient guère, mais l’ado de l’époque ne s’arrête malheureusement pas à ce genre de « détails ». Elle prépare un bac S, qu’elle obtiendra d’ailleurs avec mention, mais ce qu’elle veut c’est devenir militaire. Une vocation contractée dans l’enfance bien qu’aucune de ses nombreuses poupées Barbie ne porte de treillis. Lors d’un forum d’orientation, elle s’informe sur les carrières militaires et on lui conseille de suivre une “PMM”, Préparation Militaire Marine, afin de mettre toutes les chances de son côté pour intégrer ensuite l’École de maistrance à Brest, et devenir officier marinier. La lycéenne rejoint donc la PMM d’Angers, un samedi par mois, pour apprendre les rudiments de la vie militaire. Très motivée, elle demande à rejoindre les réservistes pour renforcer les effectifs pendant les vacances. Son dossier est retenu. Elle rejoint la base navale de Brest en août 2012. Et, et … elle croise Pierre. Jeune lycéen réserviste comme elle, mais azuréen. On l’a expédié en Bretagne, loin de chez lui car c’est à Brest que la marine a besoin de bras cet été-là. Coup de foudre.
« C’est un beau roman, c’est une belle histoire », et il redescend chez lui dans le midi… Comme on est au XXIe siècle, il est facile de garder le contact. Le smartphone c’est tout de même une belle invention pour les amoureux séparés par des centaines de kilomètres. Amandine a trouvé l’amour mais une grosse déception l’attend. Elle est recalée à l’examen de l’École de maistrance pour raisons médicales. Les fameux genoux, trop sollicités à l’adolescence. Heureusement, le papa d’Amandine, dans son infinie sagesse (voilà pourquoi il faut toujours écouter ses parents), lui avait conseillé de prévoir une alternative à l’armée, au cas où… Elle était donc également inscrite en BTS de comptabilité à Angers. Ses études vont durer deux ans mais, dès qu’elle a quelques jours de vacances, elle file sur la Côte-d’Azur pour voir Pierre. Ce dernier, canotier à la station de sauvetage du Cros-de-Cagnes, lui fait découvrir la SNSM.
La vie de canotière n’est pas toujours facile lors des premières semaines de formation
Premiers pas comme canotière
En septembre 2014, son diplôme en poche, Amandine fait le grand saut. Elle trouve un CDD de comptable à Nice, fait sa valise, rejoint Pierre et intègre la promotion 2014 des futurs canotiers du Cros-de-Cagnes. Formation tous les samedis matins ! Au début tout n’est pas rose. Elle n’a aucune connaissance en navigation. Elle ne sait pas faire les noeuds. Et se retrouve un peu isolée au milieu d’un effectif très majoritairement masculin et mature (terme diplomatique pour souligner que les canotiers ont presque tous dépassé les 40 ans). La jeune fille serre les dents et apprend.
En mars 2015, elle fait désormais partie de l’équipage officiel sollicité en cas d’alerte. Elle se souvient de sa première intervention. Un voilier en panne moteur, la nuit, entre Villeneuve-Loubet et
Antibes. Trois personnes à bord, un père, sa fille et son petit-fils de 7 ans. Il faut trouver l’embarcation dans le noir. Quand la vedette de la SNS 272 s’approche du voilier, le soulagement des occupants fait plaisir à voir.
Amandine ne porte pas l’uniforme de la Marine nationale mais, à la SNSM, elle a trouvé un moyen de se sentir utile. De donner de son temps bénévolement. Et parfois de prendre des risques pour porter secours aux autres. Décidément non, les femmes ne préfèrent pas la campagne !
Article de Marjorie Biran, paru dans le magazine Sauvetage n° 136 (2ème trimestre 2016).