L’île de Ré cache bien son jeu. Au fil des décennies, elle s’est même forgée une image idyllique grâce à son charme naturel apprécié l’été par des milliers de touristes se découvrant une passion immodérée pour la petite reine. C’est dire que les dangers venus de la mer sont, la plupart du temps, passés sous silence.
Ici, pratiquement pas de roches traitresses. Encore moins de grosses tempêtes hivernales, à l’image de celles du littoral breton. Il n’empêche que ses côtes, de prime abord si inoffensives, recèlent des pièges nés de la marée basse et de fonds sablonneux peu profonds, encombrés de parcs à huîtres, prêts à punir le plaisancier réfractaire à la règle des douzièmes.
La règle dite des douzièmes permet de connaître la hauteur d’eau à chaque heure de la marée. Sur nos côtes, la marée monte ou descend d’abord lentement puis accélère pour ralentir et enfin s’inverser. Concrètement, sur une période de 6 heures, la mer monte ou descend de 1/12e du marnage, 2/12e, 3/12e, 3/12e, 2/12e, 1/12e. Soit 12/12e durant 6 heures.
Ses plages, concentrées pour la plupart sur la côte Sud, ses quatre ports, Rivedoux, La Flotte, Saint- Martin et Ars-en-Ré, Jean-Luc Dupeux, président de la station de l’île depuis 15 ans, les connaît sur le bout des doigts. Natif du Bois-Plage, c’est sur la plage de La Couarde qu’il tire ses premiers bords en dériveur, avant de quitter Ré la Blanche pour suivre des cours de mécanique au lycée professionnel de Rochefort. Puis, fort de ses connaissances, il s’engage en 1981, à dix-huit ans, dans l’armée de Terre, spécialité Travaux Publics du génie civil. Il y restera jusqu’en 96 avant de retourner au pays. A-t-il gardé une certaine forme de nostalgie de cette époque, qui le fait voyager jusqu’aux atolls de Tahiti ? Sans doute.
Mais un goût pour l’imprévu, une passion immodérée pour la réparation de tout ce qui tombe en panne, assurément. L’un comme l’autre justifie d’ailleurs son engagement à la SNSM de l’île de Ré où, en 2005, il fait ses premières armes au titre de canotier sur le semi-rigide de 6 mètres équipé d’un hors-bord de 115 CV. « Je voulais avant tout ne pas m’installer dans la routine et retrouver dans le civil le travail d’équipe vécu dans l’armée », se souvient Jean-Luc. « La SNSM permet d’aller vers les autres. » À l’époque, la station n’est pas encore équipée de la SNS 458, une vedette en aluminium de 9 mètres type VL (vedette légère), basée dans l’avant-port de Saint-Martin-de-Ré. La mise à l’eau du semi-rigide se fait au plus près de la zone d’intervention, depuis les plages. « C’était souvent plutôt chaud se rappelle Jean-Luc, surtout par vent d’ouest. Il fallait négocier les vagues pour arriver à démarrer le moteur avec suffisamment d’eau. »
SNS 548 – SNSM Île de RéAujourd’hui, ce sont deux semi-rigides, l’un de 4,70 m, l’autre de 3,20 m, posés sur remorque, complétés par un quad et un 4×4, tous stationnés dans un hangar de la plage du Peu Ragot, qui complètent la SNS 458. Leur installation dans des bâtiments proches de la plage et partagés avec les surveillants de baignade, on la doit à l’ancien président, Jacques Baudoin, dont Jean-Luc prendra la succession en 2000. Entre son métier de grutier sur le port de plaisance de La Rochelle et ses activités de Président, Jean-Luc ne chôme pas, n’hésitant pas à sacrifier ses vacances. Mécano de métier, aidé par deux autres patrons de la vedette, Gregory Pachany et Hugo Bressy, il assure durant l’hiver l’entretien de la vedette arrivée sur l’île en 2010, parrainée par un enfant du pays, le windsurfer Antoine Albeau, au palmarès impressionnant. Construite en aluminium, elle a été pensée lors de sa conception en fonction de sa zone d’intervention, qui s’étend du pont de l’île au Phare des Baleines et jusqu’à la côte vendéenne. Un champ d’action où ses 50 centimètres de tirant d’eau lui permettent de beacher et de naviguer au-dessus des parcs à huîtres. A bord, étrangement, on ne compte pas de marins professionnels. Tous les pêcheurs ont déserté l’île. Mais en revanche, la vedette bénéficie d’un équipage de jeunes dont la moyenne d’âge se situe autour de 35 ans. « C’est un plus, reconnaît Jean-Luc, même si parfois côté disponibilité, ce n’est pas évident. Surtout l’été où la brise thermique en surprend plus d’un. »
Stéphanie Berthet, seule femme de la vedette et Nathalien Patureau, un des patronsBilan de l’année 2014 : 31 sorties et 38 personnes ramenées à bon port. Quand nous nous sommes rencontrés, Jean-Luc s’activait à la préparation de la journée des sauveteurs sur le port de Saint-Martin-de-Ré. Au programme, un grand repas sur la cale prévu pour 200 personnes afin d’alimenter les caisses de la station. « Il est vrai, reconnaît Jean-Luc, que nous ne sommes pas champions en matière de communication, même si chaque année nous adressons des cartes de vœux à nos 400 donateurs. » N’empêche !
Jean-Luc a la foi tout comme les 28 bénévoles de la station, où l’on relève dans le désordre, un paysagiste, un gardien de prison, un libraire, un saunier et trois techniciens spécialisés dans le nautisme. Sans oublier les femmes, dont deux embarquées sur la vedette, désormais équipée pour mieux négocier les basses eaux de l’île de Ré et la zone dangereuse proche du Phare des Baleines. Là où, dans les années 1870, la première station de sauvetage fut installée, à l’époque des canots à avirons armés par les volontaires du village de Saint-Clément. Autre temps, autre histoire.
Portrait rédigé par Bernard Rubinstein, Sauvetage Magazine n°133.