200 ans de la RNLI : quand les canots de sauvetage traversaient la Manche

La Royal natio­nal life­boat insti­tu­tion, équi­valent de la SNSM au Royaume-Uni, célèbre ses 200 ans mardi 4 mars 2024. À cette occa­sion, nous reve­nons sur les liens entre les deux insti­tu­tions lors de la Deuxième Guerre mondiale. Alors que des canots français ont traversé la Manche pour fuir l’oc­cu­pant, des bateaux britan­niques ont fait le chemin inverse pour secou­rir les soldats piégés à Dunkerque.

Photo archive canot jean charcot de la SNSM de molene
Le canot "Jean Charcot" a permis à 23 personnes de rejoindre l'Angleterre depuis l'île Molène. © D.R.

La Royal Natio­nal Life­boat Insti­tu­tion (RNLI) célèbre cette année son bicen­te­naire. Deux cents ans d’his­toire foison­nante pour l’ins­ti­tu­tion sœur de la SNSM au Royaume-Uni, à laquelle ont parti­cipé certains bateaux des Sauve­teurs en Mer. Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs canots de sauve­tage français ont traversé la Manche et servi au Royaume-Uni. 

Evacuation des soldats bloqués sur les plages de Dunkerque
Plusieurs bateaux des sauve­tage français ont servi à évacuer les soldats bloqués sur les plages de Dunkerque © D.R.

19 juin 1940, appa­reillage clan­des­tin du Jean Char­cot de Molène

Ils sont partis le lende­main de l’ap­pel du géné­ral de Gaulle. Le 19 juin 1940, sous les ordres de son patron Michel Corol­leur, le canot de sauve­tage Jean Char­cot, de la Société centrale de sauve­tage des naufra­gés (SCSN), appa­reille clan­des­ti­ne­ment de l’île de Molène (Finis­tère). Alors que la nuit tombe, vers 20 heures, il embarque vingt-trois personnes à son bord. Tous feux éteints pour éviter d’être repéré par les vedettes et sous-marins alle­mands, il fait route en direc­tion des îles Scilly, qu’il atteint le lende­main vers 11 h 30. Il rallie ensuite Plymouth. L’équi­page et les passa­gers rejoin­dront les Forces françaises libres, tandis que le canot de sauve­tage est remis à la RNLI par le minis­tère de la Marine pour toute la durée de la guerre.

Le 10 mai 1945, la RNLI resti­tue le Jean Char­cot à la SCSN, en excellent état, après qu’il a été utilisé pendant tout le conflit. L’in­gé­nieur méca­ni­cien John Snell, qui a servi cinq ans sur ce canot durant la période, témoi­gnera, en 1990, que le bateau « avait été repeint aux couleurs de la RNLI, rouge, blanc et bleu. Nous étions tous entraî­nés au tir et équi­pés de fusils, juste au cas où on récu­pé­rait un avia­teur alle­mand qui serait lui-même armé et pour­rait détour­ner le canot, pour­suit-il. C’était un beau canot. J’ai eu mal au cœur quand j’ai dû m’en sépa­rer. »

L’odys­sée du canot de Port­sall

Le 19 juin 1940, un autre canot de sauve­tage arrive en Angle­terre. Il s’agit du Charles et Marie Chevillotte, de la station des Hospi­ta­liers sauve­teurs bretons (HSB) de Port­sall (Finis­tère). Il trans­porte trente et une personnes (dont treize jeunes hommes de Port­sall et neuf marins du service du séma­phore de Landun­vez). Au cours de la traver­sée, le moteur du canot tombe en panne et c’est à la voile, après envi­ron vingt-quatre heures de navi­ga­tion, que le Charles et Marie Chevillotte rejoint le port de Plymouth. L’équi­page et ses passa­gers prennent ensuite la direc­tion de Londres pour s’en­ga­ger dans les Forces françaises libres. Le canot étant en mauvais état, il ne peut être inté­gré à la flotte de la RNLI.

Le mystère du canot de Dieppe

Le canot Jean Bouzard, réqui­si­tionné par la Marine natio­nale pour évacuer des soldats anglais de Cher­bourg, appa­reille pour l’An­gle­terre le 21 mai 1940 sous les ordres du patron Fran­cis Lelia et du chef méca­ni­cien Charles Gode­froy. Il revient à Dieppe le 1er juin 1946, après avoir été remis en état par la Marine natio­nale. Il n’ap­pa­raît toute­fois pas dans les registres de la RNLI. Diffi­cile de savoir quel a été son rôle durant ces six années. Peut-être a-t-il servi dans le Air Sea Rescue Service, chargé de la récu­pé­ra­tion des avia­teurs tombés en mer, ou dans le service des opéra­tions secrètes. Le 16 mars 1985, la SNSM cède le canot au Musée mari­time et portuaire du Havre, qui sera ensuite exposé à l’Estran Cité de la Mer, à Dieppe, et est toujours visible.
 

Le canot Jean Bouzard
Le canot Jean Bouzard, de la station de Dieppe, est désor­mais exposé devant l’Es­tran Cité de la Mer, à Dieppe © D.R.

Les canots britan­niques évacuent les soldats de Dunkerque

La Seconde Guerre mondiale est décla­rée depuis six mois quand une partie des forces alliées est accu­lée à Dunkerque. Des centaines de milliers d’hommes britan­niques, français, belges et cana­diens sont pris en tenaille entre les troupes alle­mandes et les eaux de la Manche.

Pour leur venir en aide, l’ar­mée britan­nique orga­nise l’opé­ra­tion Dynamo. Entre le 27 mai et le 4 juin 1940, plus de 335 000 hommes seront évacués par la mer. Une flot­tille hété­ro­clite de bateaux de plai­sance, de navires de commerce ou de bâti­ments de pêche quitte les côtes anglaises pour parti­ci­per à cette opéra­tion de la dernière chance.

Parmi eux, la Royal Natio­nal Life­boat Insti­tu­tion (RNLI), société de sauve­tage du Royaume-Uni, envoie dix-neuf de ses canots1 pour aider à l’éva­cua­tion des troupes britan­niques, françaises et belges bloquées dans la poche de Dunkerque. La plupart sont armés par des mili­taires, mais les équi­pages béné­voles de Ramsgate et Margate embarquent sur leurs canots.

« Il faisait noir comme Hadès et la visi­bi­lité était nulle », dira Howard Knight, patron du canot de Ramsgate, en se rappe­lant cette opéra­tion légen­daire. Dans cette aven­ture, le canot de Hythe est détruit et celui d’East­bourne, mitraillé par un avion, est mal en point, mais pourra être récu­péré plus tard. Réparé à Douvres, il revien­dra au service actif en 1941. Ainsi, dix-sept canots sauvent et trans­portent plus de 9 300 hommes.

Le Cyril and Lilian Bishop, de la station de Hastings, est le dernier témoin exis­tant de l’opé­ra­tion Dynamo. Ce canot de 11 mètres a été construit en 1931 et a servi jusqu’en 1950. Vendu et trans­formé pour la pêche dans l’île d’Is­lay, il est racheté dans les années 1980 par Simon Evans, qui le restaure magni­fique­ment dans son chan­tier naval de Migennes (Yonne). Il le cède en 2017 à Dee-Day et Bever­ley White pour entre­te­nir la mémoire de la bataille de Dunkerque.

Un canot de la RNLI dans le film Dunkerque

On peut voir un canot de la RNLI dans le film Dunkerque, de Chris­to­pher Nolan, retraçant la bataille de Dunkerque. Mais le Henry Finlay, construit en 1911 et affecté à la station de Teign­mouth, n’a en réalité pas parti­cipé à l’opé­ra­tion Dynamo.

Article rédigé par Jean-Patrick Marcq, publié dans le maga­­­­­­­­­­­­­­­­zine Sauve­­­­­­­­­­­­­­­­tage n°167 (1e trimestre 2024)

 

1-Des stations de Gorles­ton-on-Sea, Lowes­toft, South­wold, Alde­burgh, Walton-on-the-Naze, Clac­ton-on-Sea, Southend-on-Sea, Walmer, Hythe, Dunge­ness, Hastings, East­bourne, Newha­ven, Shore­ham-by-Sea, Poole, Bour­ne­mouth, Ramsgate, Margate et Cadg­with.