« Sûr que j’ai fait une vraie c… », avouera Jean1, 63 ans, plongeur confirmé de niveau 2, à sa sortie d’hôpital. 3 jours plus tôt, le 18 septembre vers 10 h 20, il s’est mis à l’eau au large de Frontignan pour une énième plongée. La routine, pour cet amateur aguerri. Mais il n’arrive pas à attraper son embout.
Engoncé dans sa combinaison, les épaules retenues par le harnais de sa bouteille, il manque d’agilité. Lesté par 6 kilos de plomb, plus le poids de son matériel, il n’a aucune chance de flotter, sauf à gonfler son gilet. Règle qu’il néglige d’appliquer. Il se tortille, se débat, panique, boit la tasse et commence à se noyer.
En surface, assistant un autre plongeur moins expérimenté, Pierre, le moniteur qui surveille cette plongée facile (le fond est à 14 mètres) jette un œil vers Jean. En quelques coups de palmes, il est près de lui, s’en saisit, le hisse à bord de leur bateau tout proche. Physique, la manœuvre avec tout le barda qui les encombre et un Jean inerte en surpoids corporel !
Gagner du temps
Sur le pont, Pierre a tous les gestes qu’il faut. Moniteur diplômé, il est aussi sauveteur, avec une double spécialité : plongeur, bien sûr, et sous-patron du SNS 703 Gardéole, le semi-rigide de la station de Frontignan, fondée en 1988.
Le sauvetage, il connaît par cœur. Vite, donner de l’oxygène à Jean, déjà inconscient, yeux révulsés, pouls quasi imperceptible. L’arrêt cardiaque menace. Et maintenant, prévenir les secours. Pour gagner du temps, Pierre choisit de « shunter »2 la procédure habituelle.
Plutôt que le CROSS, il alerte directement Jacques de Lalaubie, président de la station SNSM et patron du 703. Il lui explique la situation, donne une position précise. Pour sauver une vie menacée, la course contre la montre est lancée.
10 h 30. À la capitainerie, Jacques attend un autre membre de la station : Sylvain Balayssac. Quand arrive l’appel de Pierre, il ne reste plus qu’à mobiliser un 3e sauveteur. Ce sera Franck Dardé, canotier secouriste. Il s’empare d’un brancard, du sac médical, court et saute à bord du semi-rigide dont les deux hors-bords de 115 chevaux tournent déjà. « Avant de quitter la capitainerie, explique Jacques, j’ai demandé à l’un de mes personnels de prévenir immédiatement le CROSS Med » (basé à La Garde, près de Toulon).
Un spot idéal et fréquenté
10 h 34. Gagner du temps toujours, grapiller des minutes. Pierre joint les pompiers. Promis, ils dépêchent leur VSAV (ambulance) et une équipe médicale qui se posteront à quai. Sur la « Grande Bleue », bonasse ce matin, le SNS 703 file à plus de 35 nœuds vers les Aresquiers, dans le sud-est. Dès 300 mètres devant le cordon dunaire de l’étang de Thau entre Frontignan et Palavas-les-Flots, ce plateau sous-marin s’étend vers le large sur 30 km², de 4 à 25 mètres de fond.
Coupé de failles et de tombants, il offre aux plongeurs et apnéistes le spectacle féérique du monde du silence. Là, dans les anfractuosités, se cachent congres et mérous. Ici, des langoustes, cigales et crénilabres à queue noire. Plus loin, au-dessus des posidonies ondulantes, patrouillent sars et bars… Un spot idéal et fréquenté. Il fait la fortune, relative, des clubs de plongée locaux.
10 h 47. 9 petites minutes après son appareillage (et l’appel au CROSS), le 703 a rejoint Pierre et Jean. Sylvain, le secouriste, passe sur leur bateau, évalue la victime. Jean n’a toujours pas repris connaissance. Son pouls reste très faible. C’est une noyade de stade 3. Toujours sous oxygène, il est brancardé à bord du 703 dont la VHF crachote, incompréhensible. Le CROSS cherche à établir une liaison entre le canot et le SCMM, le SAMU maritime. Peine perdue. La VHF du 703 capte mal.
Engagement et professionnalisme
10 h 50. « Avec la victime maintenant à notre bord, raconte Jacques, nous mettons plein gaz, cap sur Frontignan. Un peu de buée se formait sur le masque à oxygène. Un bon signe : l’homme respire. Mais son pouls toujours ténu. Pendant le trajet, conséquence peut-être des chocs du canot sur les vagues, il est revenu à lui ». Sa situation reste délicate. Au CROSS Med, quoique sans précision sur l’état de Jean, l’officier responsable choisit d’engager l’hélicoptère Dragon 34 de la Sécurité civile. Sage précaution, qui permettra d’encore gagner du temps. Libre, l’hélicoptère décolle bientôt de Montpellier avec une équipe médicale.
11 h 07. Le 703 touche le quai où, gyrophare en action, attendent le VSAV et son médecin qu’inquiète le risque élevé d’un arrêt cardiaque. Brancardée, la victime reçoit de nouveaux soins.
11 h 34. Après 27 minutes de soins complémentaires, le Dragon 34 décolle, emportant Jean vers l’hôpital de Montpellier où l’attend une 3e équipe d’urgentistes.
12 h 04. Le 703 a rejoint son mouillage depuis déjà 20 minutes quand le Dragon 34 se pose à l’hôpital. Jean en ressortira 48 h plus tard sans séquelles, hormis encore un peu d’eau dans les poumons. Mais la vie sauve. Grâce à la promptitude de toute la chaîne des secours. Entre son accident de surface et son arrivée à l’hôpital, seulement 95 minutes se seront écoulées. Un record. À tout moment, il aura reçu des soins adéquats.
Une chance ? Non, beaucoup d’engagement et de professionnalisme de tous pour vaincre le chrono.
1 NDLR : le prénom a été changé.
2 Mot anglais signifiant court-circuiter.
Article rédigé par Patrick Moreau paru dans le magazine Sauvetage n°150.
Équipage engagé à bord du SNS 703 Gardéole :
Patron : Jacques de Lalaubie
Canotiers : Sylvain Balayssac et Franck Dardé