Un exercice riche et complexe, aérien et maritime à la fois, international en plus, avait été préparé depuis des mois pour le 6 octobre 2021. Thème : un avion de ligne en perdition à la suite d’une collision avec un avion de tourisme amerrit en catastrophe, au large de Port-Vendres, avec cinquante-six personnes à bord. Un exercice comme celui-là, mobilisant de nombreuses personnes, organisations et administrations, est une occasion de rappeler et d’expérimenter les différentes chaînes de commandement et de responsabilité. Par exemple, à partir du moment où les personnes à secourir sont en mer, la responsabilité passe assez logiquement du centre de coordination de sauvetage aérien au système de recherche maritime coordonné par le CROSS, sous l’autorité du préfet maritime. Avions et hélicoptères participent néanmoins aux recherches et aux évacuations. Certains sont espagnols ou italiens parce que l’on se trouve dans une zone couverte par des accords de coopération avec ces deux pays. S’il y a beaucoup de victimes potentielles – comme c’était prévu pour cet exercice –, c’est tout un dispositif qui doit se mettre en place aussi à terre, en coordination avec les autorités maritimes pour les récupérer et les répartir entre les hôpitaux : préfet, pompiers, SAMU, etc. Cependant, au-dessus de toutes ces autorités, il en existe une qui s’impose et que connaît bien le simple marin : c’est la nature, avec ses vents et ses vagues.
« Priorité sécurité »
Ce jour-là, comme l’avion fictif devait se situer un peu loin au large, les responsables de l’exercice avaient imaginé qu’un PMA – poste médical avancé – serait installé sur l’imposant remorqueur de haute mer Abeille Flandre. Les navires recherchant les victimes, principalement ceux de la SNSM, commenceraient par les déposer à son bord pour évaluation. Les cas graves seraient évacués par hélicoptère, les autres repris par des canots de sauvetage faisant la navette avec la côte et confiant aux pompiers et autres services sanitaires des personnes déjà évaluées, étiquetées et attendues dans un hôpital précis. Un sauveteur de la SNSM, Sylvain Manigot, de la station de Port-Vendres, avait été désigné au poste très important d’OSC, ou On-Scene Coordinator (coordinateur sur place) – très codifié par l’organisation maritime internationale, le sauvetage utilisant beaucoup d’acronymes anglais. De la passerelle de l’Abeille, Sylvain devait coordonner le ballet des navires de sauvetage. Un exercice mobilise encore plus d’embarcations qu’un sauvetage réel. Il faut aussi en prévoir pour représenter les différents morceaux de l’épave de l’avion et veiller à la sécurité des participants. On met en effet à l’eau des « plastrons », fausses victimes qui ne sont pas que des mannequins et que l’on tient, bien sûr, à récupérer tous en bonne santé. Dans les documents préparatoires de l’exercice, une phrase en capitales rouges était isolée et surlignée en jaune : « PRIORITÉ EXERCICE : SÉCURITÉ DES PARTICIPANTS ».
Transbordements dangereux
Or, sans être franchement exécrable, la météo n’a pas été pas très coopérative. Un bon 5. Des rafales à 25 nœuds. Rien qui puisse empêcher un remorqueur de haute mer et des vedettes et canots de sauvetage de tenir la mer et rechercher des victimes, bien évidemment. Mais les vagues étaient suffisamment formées pour rendre dangereux les transbordements entre les canots et le remorqueur.
« On apprend toujours quelque chose, dit Sylvain, qui n’a rien perdu de sa bonne humeur malgré le redimensionnement de l’exercice. Là, on a la confirmation que, dès force 5, il faut éviter les transbordements. » C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans les vrais sauvetages, on privilégie souvent, quand il est possible, le remorquage de l’embarcation en difficulté avec son équipage à bord. Les dizaines de sauveteurs qui teignaient Port-Vendres d’orange depuis la veille sont repartis, sans doute un peu déçus. « Tous les canots et les vedettes des Pyrénées-Orientales et de l’Aude étaient là », se souvient Sylvain. Ce qui a été conservé de l’exercice a eu lieu en effet… à quai. Quel intérêt ? Sylvain, passé du rôle de coordinateur à celui d’observateur, en a pourtant trouvé un. Les participants ont pu s’entraîner à mettre en œuvre le système de bracelet SINUS (système d’information numérique standardisé), progressivement généralisé par le ministère de l’Intérieur, notamment depuis les grands attentats de Paris et Nice. Quand les victimes sont nombreuses, il permet d’équiper chaque personne d’un bracelet correspondant à un document numérisé où figurent les premières informations disponibles, identification qui la suivra tout au long du processus. Muriel Vergne, médecin responsable du SCMM (SAMU de Coordination Médicale Maritime) Méditerranée et médecin référent de la SNSM, précise que SINUS est capable de communiquer avec le logiciel SI-VIC, mis au point par le ministère de la Santé pour le suivi des victimes. Établir une liste « consolidée » des victimes, commune à tous les intervenants, et savoir où elles sont n’est pas une mince affaire quand tout le monde intervient dans l’urgence. Des membres du SAMU maritime étaient là, sur l’Abeille et au CROSS comme ils l’auraient été en situation réelle, pour évaluer la gravité des cas et trouver des places dans le système hospitalier. Ce jour-là, la mer ne bougeait pas trop à quai. Mais tous ces médecins volontaires s’entraînent régulièrement à l’hélitreuillage et aux sorties sur des embarcations de sauvetage, « notamment le canot de Port-La Nouvelle ou de Port-Vendres », tient à préciser Muriel Vergne.
« La familiarisation avec le milieu et la manière de fonctionner des autres est en effet essentielle dans les exercices », affirment d’une même voix Sylvain et Muriel. Même à quai. Sylvain a pu avoir, par exemple, une conversation intéressante avec le responsable d’un groupe de pompiers terrestres chargé des évacuations qui avait du mal à récupérer l’information sur les victimes dispersées sur les différents canaux radio VHF utilisés par une telle armada. 69, 72 et 74 ce jour-là. Le canal 16 est évidemment laissé libre en cas de véritable urgence. S’il y en avait eu une, tous les moyens nécessaires auraient abandonné l’exercice de sauvetage pour sauver, cette fois en vrai.
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Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le magazine Sauvetage n°158 (4e trimestre 2021)