Le drame
Christophe Monnereau, le président de la station, fut l’un des quatre survivants de cette sortie fatale du 7 juin qui fera trois morts parmi les sauveteurs. Il témoigne.
Un mois après le drame, Christophe Monnereau, président de la station SNSM des Sables d’Olonne, l’un des quatre survivants de l’équipage du SNS 061 Patron Jack Morisseau, témoigne pour les lecteurs de Sauvetage. Une dernière fois, espère-t-il…
La tempête Miguel était clairement annoncée ce vendredi matin du 7 juin. Météo France avait diffusé un communiqué pour expliquer qu’elle n’était pas exceptionnelle, bien qu’elle soit rare en cette saison. Message reçu par presque tout le monde. « Même les bateaux de 25 mètres sont restés au port », dit Christophe Monnereau. Mais il suffit d’un imprudent. Le Carrera, un bateau de pêche de 12 mètres immatriculé à Oléron, armé à la crevette, est sorti avec son seul patron à bord. En début de matinée, Christophe était au port avec Yann Chagnolleau, le patron titulaire de la station – un patron pêcheur de 54 ans, fraîchement retraité, qui ne reviendra malheureusement pas. Ils étaient avec l’équipe du Pôle de soutien de la flotte de la SNSM, venue de Saint-Malo au chevet du canot tous temps SNS 002 Canotier Jacques Joly, deuxième exemplaire d’une nouvelle série, mis en service après celui de l’île de Sein et indisponible depuis plusieurs mois.
Puis il y a eu cet appel téléphonique entre Yann Chagnolleau et le patron du Carrera. Yann tente de le dissuader de rentrer au port, car c’est trop dangereux en pleine tempête. Il lui conseille de rester au large et de tenter de faire route au sud-est pour chercher l’abri de l’île de Ré, dans le pertuis Breton. Après cet appel, il lui semble clair pourtant que ce conseil ne sera pas écouté.
Le patron titulaire commence alors à rassembler un équipage de circonstance, particulièrement amariné. Sur les sept sauveteurs mobilisés, quatre sont des patrons pêcheurs et deux des plongeurs professionnels, dont Christophe Monnereau, 57 ans, qui comme de nombreux présidents de station SNSM, tient aussi à faire partie de l’équipage. Ce jour-là, c’est Emmanuel Hubé, patron pêcheur devenu armateur de plusieurs bateaux, président de l’armement coopératif et patron suppléant de la station, qui commande.
Tous savent que ce sera très dur mais, bien sûr, n’envisagent pas le pire. La station réalise une trentaine d’interventions annuelles, souvent l’été, par petit temps, pour porter secours à des plaisanciers en panne. Parfois, certaines d’entre elles sont particulièrement lourdes, et ce, en toutes saisons. Souvent pour la pêche, car la ville des Sables d’Olonne revendique le rang de quatrième port de pêche en France. « Il nous arrive d’aller jusqu’à 40 milles nautiques (74 kilomètres) au large », souligne Christophe Monnereau, tout en précisant que c’est assez exceptionnel.
La météo est inhabituelle pour la saison, avec un vent annoncé de force 7 et de grosses rafales qui lèvent une mer « forte à très forte », avec des vagues de 3 à 6 mètres. À la mer du vent s’ajoute la grande houle venue du large. Pour finir, les fonds remontent devant Les Sables d’Olonne et une marée de coefficient 85 commence à descendre en ce début de matinée, tandis que la tempête monte.
La manœuvre, quant à elle, est habituelle par gros temps, car les sauveteurs savent que des bateaux vont se risquer à l’entrée du port. Le canot se positionne dans l’avant-port à l’abri de la digue, pour pouvoir aller aider dans les passes, si nécessaire. Mais ce jour-là, une fois en place, ils prennent conscience que la mer est spécialement dure. « Il n’y avait plus de passe ». Autrement dit, on ne voyait plus cette zone où les vagues sont habituellement un peu moins fortes parce qu’il y a plus de fond. Ils savent que s’ils doivent sortir, ils ne tenteraient pas de revenir tout de suite. Ils se mettraient à la cape, un peu plus au large, en attendant que le pire de la tempête passe et que la mer remonte.
Ils sont en place depuis quelques minutes quand le CROSS les appelle : l’une des balises de détresse du Carrera a été déclenchée. La balise n’est sans doute pas des plus sophistiquées : elle situe le Carrera sur la terre ferme ! « Engagez-vous ». À ce moment-là, un patron de la SNSM peut refuser la demande du CROSS s’il estime que les risques sont trop importants. Est-ce déjà arrivé à la station des Sables d’Olonne ? « Peut-être une fois », dit le président Monnereau. Mais pas de son temps. « On ne s’est pas posé la question ».
Le réflexe du sauvetage, c’est la solidarité inconditionnelle des gens de mer. Peut-être plus encore au sein d’un équipage de marins professionnels qui vont souvent secourir d’autres professionnels. Peut-être plus aux Sables d’Olonne, une ville où la culture maritime est tellement ancrée que « même quand on part en vacances, on a besoin de retrouver la mer », comme l’avait raconté la compagne de Yann Chagnolleau dans une interview à la radio avant le drame.
Ils sortent donc. Par la passe principale, celle qui longe la côte, mais qui est aussi la plus profonde. La mer est dantesque. De travers. Sur une vidéo amateur, on voit le canot serpenter entre les vagues pour essayer de trouver son chemin. Quand leur écran de navigation leur dit qu’ils ont passé les deux bouées principales sur tribord, ils espèrent avoir fait le plus dur. Ils ont franchi la passe. Ils mettent alors cap à l’ouest, face au vent et à la mer. Et c’est là que le drame arrive. Les vagues sont tellement hautes et proches les unes des autres qu’ils craignent cette sensation de chute, du sommet de la vague au fond du trou, qu’on a parfois dans ce genre de mer.
Mais c’est une autre monstruosité qui les attend. Sur l’avant. Une masse sombre dont on ne voit pas le sommet. « Baissez-vous », n’a pu s’empêcher de dire le patron Emmanuel Hubé, qui tient la barre. Une des rares phrases échangées dans cette sortie où peu de mots ont été prononcés. « On a senti une puissance énorme face à nous ; on a entendu un coup de canon ». D’un seul coup, les trois pare-brises avant, du verre Securit d’un centimètre d’épaisseur, explosent. Des tonnes d’eau s’engouffrent dans le bateau. Ils ont de l’eau jusqu’à la taille. Mais le canot flotte et les moteurs tournent. Le compartiment moteur est doté de portes étanches que Christophe Monnereau se souvient avoir fermées lui-même.
La situation est vite analysée. L’équipage estime que sa seule chance de s’en sortir est d’aller s’échouer sur la plage. Le barreur arrive à faire virer le canot. Christophe Monnereau, qui a trouvé une providentielle VHF portable flottant près de lui, appelle le CROSS pour demander une évacuation par hélicoptère. Les membres d’équipage, silencieux, essayent d’écoper l’eau, en ouvrant la porte de la passerelle. La situation est d’autant plus inconfortable que l’électricité crépite avec l’eau et empêche l’équipage de s’accrocher aux objets métalliques !
Assez vite, il apparaît que « le bateau ne veut pas ». Il ne répond plus assez, ni à la barre, ni aux deux moteurs. Et inexorablement, il se met travers à la lame, recevant les vagues de côté. Une première fois, il est couché. La deuxième fois, il est retourné. Envahi par les eaux, vitres cassées, le canot autoredressable ne se redresse plus.
Deux groupes dans l’équipage. Ceux qui sont coincés à l’intérieur, et ceux qui étaient dehors ou arrivent à sortir. Des trois à l’intérieur, seul Emmanuel Hubé, patron pour l’intervention et barreur du canot, survivra. Il se retrouve on ne sait comment dans une bulle d’air formée dans le poste avant du canot retourné, d’où il arrive même à appeler le CROSS depuis son portable pour se signaler.
Yann Chagnolleau et Alain Guibert, eux, sont tous deux restés coincés sous la coque du bateau retourné. À l’extérieur, Jérôme Monnereau, le fils du président, 25 ans seulement, lui aussi patron pêcheur, coincé près de la porte par son gilet gonflé, arrive à s’en défaire et trouve un rescue tube, une « frite », près du canot retourné. David Bossard, 46 ans, patron d’une entreprise de scaphandriers aux Sables d’Olonne, reste accroché au bastingage et pense un temps pouvoir remonter à bord pour aider ses collègues. Il finit par lâcher devant la force des éléments. Dimitri Moulic, 37 ans, mécanicien de marine, arrivé depuis un an et demi à la station, a également été éjecté du canot.
Ils sont donc quatre à se retrouver à la mer, persuadés que leur dernière heure est venue. Bien que pris pendant près d’une demi-heure dans une énorme lessiveuse, et convaincus de finir écrasés sur les rochers sur la côte, ils respirent néanmoins entre les vagues. L’instinct de survie. Et le temps d’arriver au bord, à l’approche des roches, les vagues monstrueuses sont devenues simplement très grosses, comme si la mer avait décidé de donner leur chance aux quatre sauveteurs totalement épuisés qu’elle avait poussés jusque-là. Pourtant, ce ne fut pas le cas pour Dimitri Moulic. Les pompiers, intervenus très vite, ne réussiront pas à le ranimer.
Un peu plus loin, la mer déposait le canot retourné sur la roche, la coque quasiment intacte.
Le bateau
Le destin a voulu que le Jack Morisseau vienne mourir là où il avait fait toute sa carrière. En effet, le nouveau canot tous temps des Sables d’Olonne, le SNS 002 Canotier Jacques Joly, deuxième d’une nouvelle série, est indisponible du fait de problèmes techniques depuis janvier 2019. La station avait alors récupéré le « canot de réserve » de la façade atlantique, ce bon vieux Jack Morisseau, âgé de trente-trois ans. Il portait le nom d’un ancien sauveteur des Sables d’Olonne, victime d’un naufrage en 1967 dans cette station qui a connu plus d’un drame. Certes, trente-trois ans, cela peut sembler vieux pour un canot de sauvetage. Mais c’était un canot costaud. Comme tous les bateaux de la SNSM, il avait passé ses visites annuelles et avait son permis de navigation en règle. Les pare-brises avant étaient conformes aux normes en vigueur. Seulement, la vague qui les a brisés était d’une hauteur et d’une force exceptionnelles, de celles qui arrivent parfois à casser les vitres protégeant la passerelle d’une frégate de la Marine nationale. Mais celles-ci sont bien plus hautes sur l’eau…
Le drame, c’est que l’étanchéité de la passerelle des canots tous temps est essentielle pour qu’ils puissent se remettre à l’endroit en cas de chavirage. Elle assure « normalement » une flottabilité instable du bateau retourné… qui l’oblige à « rechavirer » dans le bon sens. Le bris des vitres de la passerelle et les tonnes d’eau qui se sont engouffrées à l’intérieur l’auront rendue totalement impossible.
Très vite après l’accident, la coque a été démantelée et retirée. « C’est moi qui l’ai demandé, explique Christophe Monnereau. Je ne supportais pas qu’il devienne un objet de curiosité morbide ».
L’équipage
Quand trois des leurs disparaissent, quand Yann, Alain et Dimitri ne sont plus là, c’est toute la famille des sauveteurs qui est meurtrie. En particulier la famille proche : les membres de la station SNSM qui ont perdu trois amis. Dans les stations, on préfère les photos de groupe aux portraits. Le jour où celle-ci a été prise pour illustrer le calendrier 2020 de la station, les trois disparus étaient là.
Trois des autres membres de l’équipage de ce jour fatal étaient présents également. Christophe, son fils Jérôme – qu’il a tellement eu peur de perdre –, et son collègue plongeur David Bossard, ancien pompier volontaire. Manquait seulement Emmanuel Hubé.
De nombreuses stations de la SNSM s’ouvrent à des bénévoles qui aiment la mer mais n’en font pas forcément leur métier, les marins professionnels étant devenus moins nombreux. Rien de tel aux Sables d’Olonne, comme le montrent les activités professionnelles des sept embarqués ce jour-là. La station peut compter sur un recrutement plus classique, et qui ne se tarit pas.
Pour assurer la disponibilité d’un équipage trois cent soixante-cinq jours par an, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il faut plus d’une trentaine de personnes, presque le double des sauveteurs visibles sur cette photo. La disparition de deux jeunes retraités de la pêche, dont le patron titulaire, et d’un jeune mécano super disponible et enthousiaste, est un coup dur pour le collectif. Mais on est dans l’une de ces villes où la SNSM est une institution essentielle de la vie locale. D’anciens membres de la station sont déjà revenus pour assurer la relève. Parmi eux, Patrice Faugeron, patron pêcheur, a accepté de reprendre la responsabilité de patron titulaire de la station. Ceux qui ont été trop secoués par l’accident peuvent bien sûr quitter l’équipage tout en restant dans la station.
Quand nous sommes repassés aux Sables d’Olonne, un mois après le drame, il manquait un élément essentiel à la station pour retrouver son équilibre dans l’action : un bateau. Qu’on leur prête un canot tous temps pour reprendre l’entraînement et les sorties ! C’est ce que demandait Christophe Monnereau, le président. « Nous sommes le seul canot tous temps entre Oléron et l’île d’Yeu », explique-t-il, inquiet pour les autres, ceux qu’il faudrait aller sauver.
L’adieu de la France
Dès 9 h 30 ce jeudi 13 juin, un cortège informel vêtu des polaires orange des Sauveteurs en Mer, marche, déterminé, en direction du prieuré Saint-Nicolas des Sables d’Olonne, où le président de la République a donné rendez-vous, à 11 h, pour rendre hommage à l’équipage du canot tous temps SNS 061 Patron Jack Morisseau. Des écharpes orange aussi, celles des représentants du siège national de la SNSM, président en tête. Sur la pointe, à la sortie du port, sur l’emplacement de l’ancien fort, une chapelle et le monument aux disparus en mer. Lieu symbolique. La cérémonie aura lieu en plein air, tribune officielle dos à la mer. Sécurité très présente, président de la République oblige, mais bienveillante à l’égard de ces autres gardiens de la sécurité des Français que sont les Sauveteurs en Mer.
L’attente des officiels est vécue sans impatience. Elle permet de se retrouver en famille, celle des Sauveteurs en Mer, de se serrer la main. Ils sont plusieurs centaines qui viennent de partout en France : Atlantique, Manche, Méditerranée. Les centres de formation et d’intervention (CFI) qui forment les jeunes nageurs sauveteurs chargés de surveiller les plages pendant la saison estivale sont également présents : Orléans, Paris, Montbéliard… Le CFI des Sables d’Olonne est d’ailleurs extrêmement présent. Il a tout fait pour éviter aux amis de la station d’avoir à s’occuper des questions logistiques, en sus de leur peine. Les jeunes nageurs ont tenu à être présents avant d’aller prendre leur poste sur les plages.
Derrière toutes ces présences, une formidable solidarité. Des stations se sont organisées pour venir à plusieurs dans un autocar. Des municipalités ont mis des moyens de transport à leur disposition. Des maires ont tenu à accompagner leurs sauveteurs. Et tous tiennent à préciser que là-bas, chez eux, ceux qui ne sont pas aux Sables d’Olonne organisent des cérémonies, des minutes de silence, des rassemblements de canots. Même chose en outre-mer, d’où parviennent de multiples messages.
Les vedettes des stations environnantes sont là aussi, bien sûr. Tout à l’heure, on comptera six bateaux aux superstructures orange amarrés à couple dans le port, comme pour se tenir chaud et se murmurer on ne sait quels souvenirs du Jack Morisseau – avec lequel ces navires ont participé à des sauvetages – des fêtes aussi.
Le souvenir d’autres drames (voir par ailleurs) donne une gravité particulière à certaines présences : CFI de Montbéliard (2018), station de l’Aber Wrac’h (1986), station d’Etel (1958). Quand les équipages de l’île d’Yeu et de Trévignon-Concarneau se rencontrent, ce sont des fêtes vécues en commun qui les unissent, mais aussi la mémoire des drames : c’est jusqu’à l’île de Raguenez, juste à côté de Trévignon, qu’avait dérivé dans la tempête glaciale le canot à rames de l’île de Sein en janvier 1917.
L’équipe du Pôle de soutien de la flotte de Saint-Malo, qui gère une importante partie de l’entretien des canots et vedettes, n’est pas encore remise de son émotion. Elle avait quitté l’équipage du Jack Morisseau une demi-heure avant le drame.
De multiples liens particuliers s’entrelacent. Certains ont participé à un stage commun au Pôle national de formation de Saint-Nazaire. D’autres ont échangé des expériences sur leurs vedettes et canots du même modèle. Une partie de l’équipage de Sète était venu aux Sables il y a quelques mois, par exemple, pour s’initier au nouveau canot tous temps, du même type que le Canotier Jacques Joly qui allait lui être attribué.
Forcément, quand un tel drame arrive, les sauveteurs prennent un peu plus conscience des risques liés à leur activité. Au Havre, le patron d’équipage, psychologue de métier, a organisé une réunion en station pour en parler. De jeunes nageurs sauveteurs du CFI des Sables assurent qu’ils n’hésiteront pas à embarquer un jour, mais ils prennent un temps de réflexion avant de répondre. « La Grive », surnom d’un ancien sous-patron de l’île d’Yeu, pense que sa femme et ses enfants ont désormais conscience des risques qu’il a pris, et conclut : « c’est au moins une chose de bien que j’ai faite ».
Un thème est fréquent dans les conversations : « il faut un événement comme celui-ci pour qu’on prenne conscience de ce qu’on fait ». Et les questions d’argent reviennent, lancinantes. Il va falloir commencer à en mettre de côté pour un nouveau navire. « Si on pouvait consacrer tout notre temps libre aux entraînements plutôt qu’à des kermesses pour collecter de l’argent ». Tout à l’heure, après la cérémonie, on entendra deux voix criant : « on a besoin de sous, Monsieur le Président » ; et : « il faut qu’on arrête de faire la manche ».
Soudain, le silence se fait, sans que personne n’ait rien eu à dire : l’équipage des Sables d’Olonne arrive, entouré des familles. Le président de la République a déjà rencontré les proches des disparus, il y a un moment, dans la plus rigoureuse intimité. Il arrive avec Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, élu du Finistère, qui a fait ovationner les Sauveteurs en Mer par les députés le lundi, et François de Rugy, ministre de la Transition écologique et solidaire, qui a la mer dans ses attributions. Sont également présents le chef d’état-major de la Marine, l’amiral Christophe Prazuck, et le secrétaire général de la Mer, Denis Robin.
Le premier à prendre la parole est Yannick Moreau, maire des Sables d’Olonne. Il insiste sur l’identité maritime de la ville. Ici, « la mer n’est pas seulement un paysage de vacances ». Les sablais étaient quinze mille, lundi, pour la marche blanche en l’honneur des sauveteurs disparus. Il parle de l’équipage : « des marins au sang salé, fraternels. Des hommes simples, pudiques. La mer c’est la vie, c’est la mort. Nos joies, nos peines. Les naufrages nous rassemblent, font remonter le besoin de collectif, de solidarité, le besoin de communier ».
Puis les familles ont souhaité que soit lu un poème dont le titre dit tout : « SNSM, quatre lettres que l’on aime ». La musique des équipages de la flotte interprète un extrait des Cent Suisses.
Le président de la République décore de la Légion d’honneur les quatre survivants. « C’était le même courage, le même équipage », venait de dire le maire. Il se dirige alors vers la tribune pour son allocution, puis dépose la même décoration sur les trois cercueils drapés de tricolore, arrivés en début de cérémonie, portés par leurs camarades sauveteurs.
Le ciel, gris tout à l’heure, a viré au bleu parsemé de nuages blancs, comme pour se faire pardonner la tempête du fatal vendredi 7 juin. Bien que la mer soit peu agitée, une vague arrive à hisser une gerbe d’écume derrière la tribune officielle, comme pour un dernier adieu.
Pendant la minute de recueillement, les sirènes des canots présents devant la pointe expriment la peine et le respect de tous les présents. La musique joue tout doucement Amazing Grace, comme pour les accompagner. L’émotion est intense.
Puis ce furent les applaudissements. Très longs applaudissements pour les trois cercueils, les quatre survivants et les familles quittant les lieux. Applaudissements de leurs camarades sauveteurs repris par les anonymes présents aux balcons des immeubles, puis plus tard encore sur le passage des sauveteurs quittant la cérémonie.
Dans l’après-midi, un minibus aux couleurs des sauveteurs passe devant une classe de primaire en sortie scolaire. « Merci les sauveteurs », crient spontanément les enfants. Ici, la communauté maritime n’est pas un vain mot.
Poème lu lors de la cérémonie d’hommage aux Sables d’Olonne
"SNSM
Quatre lettres que l’on aime
Sauveteurs des mers
Ils sont volontaires
Des gens bénévoles
Toujours présents et disponibles
Leur bateau s’envole
Et va vers sa cible
Ces hommes et ces femmes
Ont tous dans leur âme
De la bravoure et du courage
Pour sauver des vies du naufrage
Qu’est-ce qui les anime autant
L’amour de la mer bien sûr
Mais surtout les coups durs
Que rencontrent les navigants
La passion et le dépassement de soi
Ne sont pas traités avec émoi
Quand vous les observez
Vous remarquez leur solidarité
L’humilité qu’ils dégagent
Est à la hauteur de leur rage
Quand ils fendent les vagues
Leur bateau est une dague
Ils inspirent le respect
Et quand certains les critiquent
C’est magique
Ils restent circonspects
Affronter les éléments
Avec quelques fois la peur au ventre
N’a d’égal que leur dévouement
Mais surtout il faut qu’ils rentrent
Marins de la SNSM
Sachez que vous êtes l’emblème
Des nouveaux héros
Solides comme les coraux"
– John Goz, donateur.
Un hommage national et international
En France et à l’étranger, ce drame a touché des milliers de personnes. Retour sur l’hommage de toute une communauté.
Hommage des bénévoles de la SNSM
Unis par la même passion pour la mer, le même sens de l’engagement et du secours à autrui, les huit mille bénévoles de la SNSM ont tenu, chacun à leur manière, à rendre hommage à leurs frères péris en mer. La plupart sont sortis en mer pour tirer des feux à main, faire résonner les cornes de brume et déposer des gerbes de fleurs. Certains ont également écrit des mots et des poèmes. L’un d’entre eux a dédié une composition musicale en l’honneur de Yann, Dimitri et Alain.
« Ces membres bénévoles de la SNSM sont morts en accomplissant leur devoir. Ils rejoignent dans le respect que nous leur témoignons le colonel Arnaud Beltrame, les premiers-maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello. Ils ont fait leurs ces mots de Lacordaire : 'il n’y a partout sur la terre qu’une chose pour être heureux et pour être estimable, c’est d’accomplir ses devoirs et partout il en coûte pour être heureux.' Et à n’en pas douter ces hommes étaient heureux. » – DONEC, illustrateur du magazine Sauvetage.
« Il y a des douleurs difficiles surtout lorsque l’on perd un des nôtres… Que nous gardons en souvenirs la plus belle des choses, le don de soi. Amitiés et courage. Et que vive encore longtemps la SNSM. » – Yaël MARC, ancienne bénévole.
« […] Et toute la Famille orange est ébranlée, car nous savons tout l’engagement faisant abstraction de soi que représente toute sortie en mer.
À vous trois… À vous quatre qui aurez à remettre les bottes et les gants avec toute leur dignité et tout l’honneur que nous portons ce jour comme chaque jour de l’année en orange. De la part de nous tous en orange. » – Karine, présidente de la station de Menton.
« Une cérémonie d’hommage s’est tenue hier à 17 heures à Nouméa. Nous avons tous conscience que les mots ont peu de poids quand un des nôtres a été si durement touché par l’adversité. Maintenant, prenons un temps de silence, de recueillement pour les trois membres de notre famille qui en tentant de sauver une vie ont offert la leur. Les stations SNSM de Nouvelle-Calédonie sont à vos côtés en ces moments si difficiles, où nous devons tous rassembler des forces et du courage pour surmonter notre chagrin. » – Yann Bouvet, délégué SNSM pour la Nouvelle-Calédonie.
Hommages de sauveteurs étrangers
De la Nouvelle-Zélande aux États-Unis, en passant par le Canada, l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas ou encore le Danemark, la traditionnelle solidarité des gens de mer s’est illustrée.
« De la part de tout le personnel du Centre de coordination du sauvetage à Trenton, au Canada, nous vous adressons nos plus sincères condoléances pour la perte des membres de l’équipage du bateau de sauvetage qui ont péri aujourd’hui en tentant de porter secours à un confrère marin. C’est un jour triste pour le monde du sauvetage. » – Canadian Coast Guard, Sauvetage en mer, Canada (traduit de l’anglais).
« Il s’agit, sans aucun doute, de la chose la plus terrible qui puisse se produire, que des personnes courageuses, désintéressées et admirables sortent en pleine tempête pour secourir un marin, pour ne jamais revenir. Je ne peux imaginer combien la communauté des Sables d’Olonne a pu être touchée par cette tragédie et je leur adresse, ainsi qu’à leurs familles et à toute la SNSM, toute ma sympathie pendant cette période douloureuse. » – Paul Boissier, sauvetage en mer, Royaume-Uni (RNLI) (traduit de l’anglais).
Hommages du monde maritime
Émues par ce drame, des personnalités du monde maritime ont fait parvenir à la SNSM leurs témoignages de soutien et d’amitié, qu’ils soient sur terre ou sur les mers lointaines.
« Nous avons besoin des Sauveteurs en Mer… Ils ont aussi besoin de nous… peut-être encore plus ces jours-ci. » – François Gabart, skipper.
« Au cœur de la tempête, ils sont partis pour accomplir ce pour quoi ils étaient bénévoles : secourir autrui. Je salue leur courage et leur abnégation, et rends hommage à leur engagement envers les autres. » – Capitaine de vaisseau Marc-Antoine de Saint Germain, commandant du porte-avions Charles de Gaulle.
Hommages de donateurs
Toute l’année, des particuliers soutiennent l’activité de la SNSM par des dons. En cette période de drame, ils partagent leurs peines.
« Je soutiens toujours (financièrement) le bénévolat de ces hommes qui sont toujours 'sur le pont’ pour sortir d’autres d’un mauvais pas, car je passe avec ma famille toutes mes vacances sur le bord de l’Atlantique. Je partage votre grande peine à tous, et aussi celle des familles concernées. » – M.R., donatrice.
« Je pense bien à tous ces hommes et femmes qui sont prêts à tout donner, leur confort, leur disponibilité, leurs moments de liberté, leur immense compétence, leurs hautes qualités morales de discernement, de courage, d’abnégation… et hélas, jusqu’à leur vie même. Je pense à leurs familles, leurs parents, leurs amis qui acceptent cette incertitude. À tous je leur dis que je partage leur peine. À tous ceux qui sont prêts à tant donner pour arracher aux dangers de la mer ceux qui s’y risquent pour leur travail ou pour leur plaisir, je dis que je ne pourrai jamais les remercier… tout en espérant ne jamais avoir besoin d’eux. » – M.H., donateur.
Hommages de partenaires
Partenaires privés, mécènes, et structures de sauvetage amies ont démontré leur amitié et leur solidarité envers la SNSM.
« Toutes nos pensées vous accompagnent et vont vers les victimes et leurs proches dans ce moment douloureux. Dites-nous si on peut faire quelque chose. » – Anne-Valérie Troy, Total.
« Soyez assurés que nous nous efforcerons de porter encore plus haut et plus fort le message auprès des navigateurs de plaisance et de tous ceux qui pratiquent la mer d’une manière ou d’une autre de sorte qu’ils fassent preuve, à leur tour et à leur manière, de solidarité envers les sauveteurs qui veillent sans relâche pour se porter à leur secours à la première alerte. » – Philippe Héral, Yacht Club de France.
« J’ai vécu cette tragédie comme un drame personnel, parce que 'mes frères d’armes’ sauveteurs sont concernés. » – Jean-Luc Manser, capitaine, Pompiers Alsace Solidarité.
« L’engagement des bénévoles de la SNSM force le respect. Malgré ce drame, je sais que vos équipes continueront de prendre la mer pour porter secours aux personnes en détresse comme elles le font depuis 1967. » – François Richez, Protection civile.
Hommage de particuliers
Des hommes et des femmes, de toute la France, qui parfois ne connaissaient pas la SNSM, ont retranscrit leur soutien et leur sympathie aux Sauveteurs en Mer.
« En ce 7 juin, je suis arrivée à la salle de la piscine, tout en regardant la tempête, bien à l’abri. J’ai vu le bateau de la SNSM au loin dans cette mer déchaînée, ballotté comme un bouchon. Puis je l’ai perdu de vue… Puis sont venus les deux autres hélicoptères, je me suis dit 'c’est grave…' Je n’ai pas imaginé une minute que vous, les sauveteurs, étiez les victimes. Pour moi, c’était impensable. Quel choc, quelle tristesse quand j’ai su que votre vedette avait chaviré faisant trois morts. Je suis bouleversée par ce drame et par son injustice. » – M.D., sablaise.
« Je vous sais forts et dévoués, vous allez surmonter et sauver encore tant de personnes en difficulté, mais je sais aussi jusqu’au fond de vos cœurs, qu’une blessure restera à jamais. La vieille dame que je suis a tant d’admiration pour vous. » – Une vieille dame.
« Nous sommes tous fiers de nos sauveteurs dévoués et courageux. Ils sauvent tant de vies que nous leur devons le plus grand respect. Soyez forts, la communauté des marins de tous bords est avec vous… » – F.T., marin sablais.
« Jusqu’à présent peut-être je ne me rendais pas assez compte de votre courage et il faut malheureusement des drames comme celui-ci pour que l’on se rende compte de votre dévouement. » – A.D., normande.
"Quand les autres marins
Restent au port prudemment
Il y en a certains
Qui se moquent du temps.
Lorsque leur est parvenu
Une demande de secours
Qu’ont-ils répondu ?
Nous sommes là toujours.
Ce n’est pas leur métier
Juste une vocation
Pour tous ces volontaires, sauver
Est une tradition.
Malgré la mer démontée
Malgré un vent très fort
Ils ont dit : « Faut y aller »
Ils sont partis encore.
Tout comme dernièrement
Lorsqu’ils sont sortis
Faute à un inconscient
Trois l’ont payé de leurs vies.
C’est une catastrophe, un véritable drame
Cette fois-ci l’eau salée a bien le goût des larmes."
– Philippe Delarocque.
Simple donateur, simple navigateur,
Nous leur devons les honneurs.
Par gros temps, par grand vent, ils sont là, risquant de passer de vie à trépas.
Pour moi, pour nous tous. Sans distinction aucune, ils sont là.
Parce que sauver une vie est dans leurs gènes,
Ils rendent fière la race humaine.
Simple donateur, simple navigateur,
Nous leur devons les honneurs.
L’orange est leur couleur. Nous les portons dans nos cœurs.
L’abnégation et l’altruisme sont leurs moteurs.
Notre reconnaissance est leur carburant.
Pour nous, sans peur, ils bravent les éléments.
Simple donateur, simple navigateur,
Nous leur devons les honneurs.
Femmes et hommes de tous âges, ils ne sont que courage.
Sachons les soutenir, sachons les remercier,
Eux dont la raison d’être est de sauver.
'SNSM’ rime avec 'aime’,
Ils représentent les belles valeurs humaines.
Simple donateur, ou grand navigateur,
Nous leur devons les honneurs."
– Alain Coudert, bénévole.
Hommages de représentants politiques
De nombreux représentants politiques, aux niveaux local, régional et national, ont rendu hommage aux Sauveteurs en Mer.
« N’oublions pas le sacrifice de ces héros anonymes qui donnent leur vie pour secourir autrui. Une pensée pour eux et leurs proches. » – Didier Mandelli, sénateur de Vendée.
« Honoré et ému d’avoir rendu ce matin hommage aux sauveteurs de la SNSM qui ont consenti au sacrifice ultime pour tenter de sauver une vie. Les Sauveteurs en Mer n’écoutent que leur courage et leur sens du devoir quand ils prennent la mer. Des marins. Des héros. » – François de Rugy, ancien ministre de la Transition écologique et solidaire.
« La France est redevable à tous ceux qui, quotidiennement, bravent le danger pour aider les autres. » – Jacqueline Gourault, ministre des Territoires et des Collectivités territoriales.
D’après un dossier rédigé par Jean-Claude Hazera et Enora Kholkhal, paru dans le magazine Sauvetage n°149.