L’hiver dernier, on comptait une femme sur six stagiaires à la formation patron de semi-rigide à laquelle nous assistions. Il y a eu des petites blagues, souvent encouragées par les intéressés eux-mêmes, sur les Corses, les jeunes ou le gabarit XXL de Gaëtan. Mais aucune n’a été motivée par la présence de Marie. Les Sauveteurs en Mer en sont sans doute là aujourd’hui.
La Fédération internationale de sauvetage maritime encourage ses adhérents à intégrer plus de femmes. À la SNSM, il ne s’agit pas de recrutements à proprement parler, mais de bénévoles qui offrent leur concours. La tendance est davantage à composer avec l’évolution de la société. S’il y a un message, en revanche, c’est que les femmes qui s’engagent bénévolement dans les stations et centres de formation et d’intervention (CFI) peuvent, bien sûr, accéder à tous les niveaux de responsabilité que permet l’association. C’est un signal. Femmes bienvenues.
Les femmes sauveteuses sont plus nombreuses sur les plages
La proportion est plus importante chez les nageurs sauveteurs qui surveillent les plages : 30 % aujourd’hui (à titre de comparaison, elles sont 19 % chez les pompiers civils). Mais l’image du milieu est encore très masculine, nous expliquait Camille Bernard, sauveteuse et formatrice, dans un précédent article sur les nageurs sauveteurs ; bien que la SNSM fasse attention à ce que des femmes soient présentes sur les affiches au moment des recrutements, relève Guillaume Turpin, inspecteur adjoint. Chaque année, une génération de jeunes rejoint la formation. Là encore, il ne s’agit pas d’un recrutement actif qui serait piloté par la SNSM, mais généralement d’étudiants qui proposent de s’engager chez les Sauveteurs en Mer pour surveiller les plages pendant la saison estivale. Les jeunes femmes sont sélectionnées à partir des mêmes exigences que pour les garçons. Certaines craignent d’ailleurs d’échouer lors des tests physiques. Le nombre de jeunes filles intégrant les trente-deux CFI est très variable selon les années, précisent plusieurs centres.
En revanche, la proportion de femmes à des postes de responsabilité progresse, indiquait une grande étude réalisée en 2020 : 21 % de cheffes de poste et 6 % de cheffes de secteur. Celle des directrices et directrices adjointes de CFI aussi (une directrice il y a quelques années, quatre aujourd’hui). Mouvement naturel. Elles s’imposent par leurs compétences et leur disponibilité. « Nous ne fixons pas de quota », assure Guillaume Turpin.
Partout, chez les sauveteurs, nous allons entendre ce même message : les femmes doivent accéder aux différentes fonctions en respectant les mêmes exigences que les hommes, ni moins, ni plus. La seule instance des nageurs sauveteurs où l’organisation impose la parité est la commission de discipline, qui peut avoir à traiter d’éventuels cas de harcèlement sexuel.
Les femmes arrivent sur les canots de sauvetage en mer
Sur les canots de sauvetage, c’est un peu différent. Traditionnellement, les femmes ne montaient pas plus à bord d’un bateau de pêche que d’un sous-marin. Cependant, elles n’étaient pas loin. D’une part, le soutien des compagnes et des familles a toujours été capital. Comment peut-on consacrer des heures au canot de sauvetage et aux exercices et être prêt à se lever de table un soir de Noël si cet engagement n’est pas appuyé et respecté par la famille ? Les équipières vivent d’ailleurs cette problématique, elles aussi. « L’environnement familial accepte, mais n’anticipe pas à quel point le sauvetage est chronophage », signale Gwenaëlle Le Louarn-Le Bris, « canotière » à Plouguerneau (Finistère), et désormais membre du Conseil d’administration et du comité de direction.
D’autre part, les épouses et autres femmes de la famille sont un élément important, depuis toujours, du soutien à terre. On les voit tenir la comptabilité et la caisse des stations. Dans cette fonction importante, elles font partie du trio des responsables mandatés par le président national : président, patron titulaire, trésorier. Certaines sont devenues présidentes de station, ce qui a contribué à faire évoluer les mentalités.
Cependant, même si beaucoup de présidents embarquent, souvent en tant que simples équipiers, ce n’était pas toujours le cas pour les présidentes. « Le plus difficile pour une femme n’est pas de devenir présidente, mais d’être acceptée à bord comme canotière », indiquait, en 2016, Annette Pruvot, alors aux commandes de la station de Trébeurden - Île Grande (Côtes d’Armor). Elle était fière de l’être et, évoquant son accueil à bord par ses coéquipiers, ajoutait : « Ils étaient adorables, mais il a fallu un certain temps avant que certains cessent de vouloir faire les nœuds à ma place. »
Aujourd’hui, elles sont à bord. Ce n’est pas encore la foule, mais elles s’installent. Certaines règlent, à leur manière, la question de la femme de marin attendant au bout du quai : elles embarquent aussi. Les couples de sauveteurs ne sont pas rares. L’arrivée des femmes accompagne l’autre évolution de la population des sauveteurs : moins de marins professionnels, plus de citoyens d’origines socioprofessionnelles multiples.
Certains métiers sont vraisemblablement surreprésentés. Une femme infirmière ou médecin à bord est une aubaine (au même titre que leurs équivalents masculins), surtout si tous les équipiers n’ont pas encore obtenu leur brevet de secourisme. Les statistiques de sorties des embarcations décortiquées par Yann Stephan – l’adjoint des inspecteurs généraux – confirment leur présence effective à bord avec une subtile nuance. Elles sont un peu plus souvent là pour les entraînements et les évacuations sanitaires, un peu moins pour les opérations de recherche et de sauvetage. On entend encore parfois le souhait de les protéger, comme on entend les réserves des intéressées à se sentir légitimes. Peut-être un signe du syndrome de l’imposteur, qui n’a pourtant pas lieu d’être.
Ultime barrage, des sauveteurs acceptent-ils d’être commandés par des sauveteuses ? On ne dénombre aucune patronne titulaire à l’heure actuelle. Pour devenir patronne suppléante – susceptible de commander une sortie –, il faut être nommée par le patron titulaire de la station et, aussi, inspirer confiance aux marins commandés. Une vingtaine de stations, sur toutes les façades maritimes, ont aujourd’hui des patronnes suppléantes ; même deux pour certaines. Pas mal.
Cécile Poujol, elle-même patronne suppléante, tempère cependant notre enthousiasme en rapportant ces deux dizaines aux deux centaines de stations de sauvetage qu’arment les sauveteurs. Elle a longtemps pensé qu’aucun frein n’existe pour devenir sauveteuse. Elle oubliait que son CV de coureur au large a contribué à l’accueil chaleureux de l’équipage. Et puis une femme sportive et navigatrice qu’elle avait encouragée à l’imiter lui a dit que, dans la station proche de son domicile, « Les femmes n’embarquent pas. »
Lors de son apprentissage du rôle de patron au Pôle national de formation, elle a été très agacée par un des membres du groupe qui la surveillait comme si une femme ne pouvait pas savoir barrer un bateau. Donc, il y a un sujet. « Il faudrait quand même que la SNSM soit un peu plus volontariste, ne serait-ce que pour encourager celles qui se refusent l’audace de candidater, qui n’osent pas », souligne-t-elle. La navigatrice ne serait pas contre une campagne sur ce thème, voire un petit module sur l’accueil des femmes à bord dans la formation patron.