Une fois passée la sortie du port de plaisance d’Arcachon, le pilote enfonce les manettes des deux énormes moteurs Mercury hors-bord. En quelques instants, le bateau est à 30 nœuds. Comme un skieur testant la neige, le barreur donne quelques petits coups de barre à bâbord et tribord. Le semi-rigide secoue un peu ses passagers mais ne bronche pas, bien accroché sur l’eau. Ce 18 novembre 2021, nous naviguons sur le navire « tête de série » des NSC2, navires de sauvetage côtier numéro 2 (plus petit que le NSC1 et plus gros que les NSC3 et 4), un modèle hybride offrant une vraie cabine de pilotage sur un semi-rigide, avec un espace dégagé à l’arrière pour accueillir une éventuelle victime sur un plan dur.
« Tu veux bien rentrer Gérard ? ». À ces vitesses, l’aérodynamique compte aussi et les turbulences créées par une personne à l’extérieur se sentent dans la barre. Gérard Rivoal, le responsable du programme Nouvelle flotte de la SNSM, rentre, ferme la porte coulissante et nous sommes trois, assis sur des selles prévues pour amortir le choc des vagues, à l’abri d’une petite timonerie ouverte vers l’arrière qui protège parfaitement du vent créé par la vitesse. Une quatrième place est disponible.
Un programme très ambitieux
La SNSM a engagé un programme très ambitieux de renouvellement de la flotte mise à disposition des Sauveteurs en mer. Le maître d’œuvre en est le chantier Couach, installé à Gujan-Mestras sur le bord du bassin d’Arcachon. Il construit lui-même les plus gros navires et notamment les deux modèles de NSH (Navire de sauvetage hauturier) et le NSC1. Les semi-rigides coque aluminium sont produits par Z-Nautic (marque AKA), sous la responsabilité de Couach.
On en est au stade émouvant où trois bateaux têtes de série sont terminés et commencent à être éprouvés dans le cadre des essais. Avant notre sortie, nous avons vu le NSC3, semi rigide plus classique et plus petit, faire patiemment des allées et retours à pleine charge pendant deux heures. Essais obligent. En rentrant au port de Larros à Gujan-Mestras, nous retrouverons le grand NSH1 (17,5 mètres) sur son chariot, prêt à retourner à l’eau après un retour au chantier. Le NSC2, quant à lui, va faire le trajet inverse pour prendre la route jusqu’à Paris et se faire admirer sur le stand des Sauveteurs en Mer au Nautic. Boudins dégonflés, sa largeur (2,55 m) ne dépasse pas les limites du gabarit routier. Intéressant.
Une nouvelle flotte innovante
Remplacer un parc important d’embarcations de sauvetage vieillissantes permet évidemment de remettre à plat les besoins et d’innover. Le NSC2 sur lequel nous sommes est très innovant et « tape dans l’œil » depuis les premières esquisses, avec sa timonerie très en avant du bateau et, sur l’arrière, son grand portique anti-retournement et son énorme « biton » de remorquage assorti d’une épaisse rambarde sur laquelle portera la remorque. C’est un intermédiaire entre les semi-rigides, très nombreux dans la flotte, notamment comme deuxième moyen d’une station, et les vedettes et canots plus gros et plus traditionnels. Avec ses 8,70 m de long, c’est un vrai petit bateau de sauvetage qui peut assurer beaucoup de missions très rapidement jusqu’à 12 miles au large avec trois équipiers seulement et qui est capable de remorquer jusqu’à 1 tonne et de ramener une victime allongée sur une civière en partie à l’abri de la timonerie. Au sec devant le barreur et le radio navigateur, un vrai tableau de bord de contrôle des moteurs mais aussi de gestion des communications (deux radio VHF) et de l’environnement du bateau. L’écran qui est devant le navigateur se divise pour faire apparaître la cartographie électronique, l’image radar et, si on cherche des naufragés de nuit, l’image de la caméra thermique. Le tout en coûtant à peu près le sixième du prix d’un NSH1.
Des essais très poussés
Nous avons la chance de naviguer sur un superbe bassin d’Arcachon parfaitement calme. Les sauveteurs peuvent évidemment avoir à affronter bien pire. Ancien des commandos de Marine, Yann Deban, le patron titulaire de la station d’Arcachon, a été invité par le chantier à pousser le bateau dans ses limites sur les vagues peu hospitalières que soulèvent les bancs de sable le long des passes d’entrée du bassin. Il est étonné. Qu’il mette le bateau en travers de la vague ou qu’il plonge le nez dans les vagues (mer de l’avant ou mer de l’arrière), il n’a jamais eu l’impression qu’il allait le mettre sur le toit. Il est particulièrement impressionné par l’avant, très porteur, qui soulage toujours au lieu de se planter dans la mer, malgré le poids de la timonerie sur l’avant. On nous épargne le virage sec à pleine vitesse, mais on nous assure qu’il passe sans problème. Frédéric Neuman, l’architecte de tous les petits et grands nouveaux bateaux de cette flotte a été également séduit par sa propre création quand il a essayé, en vrai, il y a quelques jours ce « bébé » qu’il connaît par cœur, mais… en version numérique sur ses écrans. Il a été impressionné par les sensations de « vrai bateau », très stable, sans vibrations. En plus des formes, joue aussi le poids. À pleine charge, il pèsera entre 4,8 et 5 tonnes.
Indispensables mises au point
Comme dans tout programme industriel de cette ampleur, il y a évidemment une phase de mise au point indispensable. Les équipiers de la station de L’Herbaudière attendent avec impatience le premier NSH1 qui porte déjà fièrement le nom de Gustave Gendron, ancien patron titulaire de la station. Ceux d’Agon-Coutainville voudraient aussi disposer rapidement de leur NSC2. Mais les bateaux « tête de série » sont ceux sur lesquels on relève toutes les petites imperfections inévitables malgré les heures de mise au point sur les écrans des bureaux d’étude de Couach (25 000 heures estimées pour le NSH1). Ceux sont aussi ceux grâce auxquels on va mieux connaître le potentiel des bateaux et préciser la manière de s’en servir et de former les équipages à leur prise en main.
D’où les trois phases d’essais programmés : essais constructeur et réglementaires (Couach repère toutes les imperfections possibles et s’assure de la conformité réglementaire des navires auprès des autorités concernées AFFMAR, ANFR,…), essais contractuels (le client, la SNSM, fait part de ses éventuelles insatisfactions), essais opérationnels (des équipes de la SNSM font tourner les bateaux pour bien voir « ce qu’ils ont dans le ventre » et définir les bonnes pratiques opérationnelles associées).
Exemples d’imperfection qu’on peut avoir à corriger sur un excellent bateau comme le NSC2 ? Lors des essais de retournement le navire de sauvetage mis sur le toit « exprès » par une grue s’est parfaitement redressé grâce au ballon qui s’est gonflé automatiquement sur le portique arrière, mais ce ballon a menacé de se détacher du portique sur lequel il était amarré par un cordage un peu sous-dimensionné. Autre exemple, le NSC2 dispose sur tribord arrière d’une porte amovible qui permet notamment aux nageurs et plongeurs de se mettre à l’eau et de remonter mais aussi de glisser dans le bateau une victime allongée sur un plan dur flottant. À grande vitesse, la vague qui se forme le long du bateau peut faire entrer de l’eau autour de cette porte.
Côté NSH1, le bateau est superbe et prometteur, mais il a pris du poids…, situation confirmée par la pesée hydrostatique. Le premier bateau réalisé pèse plus lourd que le devis de masse calculé par l’architecte. Il va devoir faire un régime avant d’être livré à la SNSM.
Tous ces problèmes doivent trouver leur solution avant que les séries entrent en fabrication. Le programme a pris environ un an de retard à cause du COVID-19 et des pénuries de certaines pièces ou matières premières. Les différentes équipes projet tentent d’accélérer les prochaines étapes. Quand les mises au point seront terminées, les grands NSH1 devraient avancer sur « la chaîne » toutes les deux semaines de poste en poste dans les hangars de Couach. On table sur une fabrication de huit par an. Parallèlement doivent progresser la conception de détail et la fabrication de deux autres « tête de série », le NSH2, plus court que le NSH1, pour les stations qui ont des contraintes de place (sous abri notamment) et le NSC1 pour les stations qui font du sauvetage côtier en ayant besoin d’emporter plus de matériel et de personnes que ne peut embarquer le NSC2 et en remorquant des bateaux plus lourds.
Sans vous rien ne serait possible
Évidemment tout cela à un coût. La vie humaine n’a pas de prix, mais son sauvetage en a un. Le prix d’un NSH1, variable selon les options, approche les 2 millions d’euros. Le programme engagé par la SNSM est estimé globalement à une centaine de millions d’euros sur dix ans. Le budget d’investissement annuel moyen qui était de 5 à 6 millions passe à plus de 10 millions.
Tout cela ne serait pas possible sans de multiples générosités qui viennent épauler celle des sauveteurs bénévoles. Les bateaux sont financés en moyenne à près de 50 % par les subventions des collectivités locales, régions notamment. Le reste vient de la générosité privée, celle des grandes entreprises partenaires – le NSC2 d’Agon-Coutainville s’appellera Les Mousquetaires – mais aussi et surtout celle de vous tous, les donateurs de la SNSM. Vous êtes plus de 170 000 à donner régulièrement un peu ou beaucoup. Certains même lèguent aux sauveteurs des sommes importantes. Ce qui explique le deuxième nom qui apparaît discrètement sous celui de Gustave Gendron sur la coque du premier NSH1 : Simone Anita. Merci à vous tous. Grâce à vous, les sauveteurs qui donnent l’équivalent de 40 millions d’euros en heures de bénévolat seront encore plus efficaces, encore plus en sécurité et auront un petit peu plus de confort.
Deux innovations dans l’équipement du NSC2
Pour éviter d’avoir à crier pour s’entendre l’équipage va disposer d’un circuit de communication interne sans fil. Chacun aura un petit casque micro sur une oreille, qui permettra de parler même au nageur à l’eau ou à l’équipier passé à bord du bateau en difficulté.
Pour prévenir les risques de blessure des nageurs ou des victimes par les hélices des moteurs, le pilote peut appuyer sur un bouton débrayage qui les empêche de tourner même si quelqu’un pousse la manette par inadvertance. Un système de diodes lumineuses à l’arrière du moteur permet au nageur ou plongeur de bord de savoir si les hélices sont embrayées ou débrayées.
Article rédigé par Jean-Claude Hazera