Le 6 février 1871, en pleine guerre franco-prussienne, La Sèvre, le trois-mâts de la Marine impériale, converti en navire-hôpital, quitte Saint-Malo en direction de Cherbourg pour débarquer des blessés. À son bord, cent-treize hommes d’équipage et quarante soldats, certains blessés. Le capitaine de frégate Vesque espère arriver à Cherbourg dans la soirée. Mais une brume intense s’élève, rendant la navigation délicate. Vers 17 h 30, pensant avoir dépassé le Cap de la Hague, Vesque met le cap à l’est. Moins de trente minutes plus tard, des brisants sont signalés à l’avant. Le capitaine demande l’arrêt des machines, conduisant ainsi le navire à sa perte. Les courants des marées le projettent sur les roches dites des Noires, à trois milles à l’ouest du port de Goury.
La coque est éventrée et l’eau s’engouffre à bord. Trois embarcations sont mises à l’eau, dans lesquelles prennent place soixante-dix naufragés. La première, entraînée par le courant, arrive à hauteur d’Omonville1 et parvient à donner l’alerte avant de poursuivre sa route en rade de Cherbourg. Le patron de la station d’Omonville, Édouard Dehamer, rassemble l’équipage de son canot Amiral de Montaignac2, mais celui-ci doit remonter à l’aviron les 12 milles le séparant de l’épave, en pleine nuit, sans visibilité, par grosse mer, et avec un courant contraire. Les deux autres embarcations arrivent aussi à Cherbourg, prévenant l’escadre.
Un sauvetage délicat par mer formée et visibilité réduite
Pendant ce temps, vers 20 heures, un habitant d’Auderville, au Cap de la Hague, entend des cris venant de la mer, et avertit Jean-Louis Fabien, patron du canot de sauvetage de la station de Goury, L’Espérance3. La visibilité est réduite. Le patron se dirige vers les cris. Le courant encore très fort, les déferlantes et les épars rendent l’approche périlleuse. Vers 21 heures, L’Espérance4 aborde le navire sous le vent, par le sud-ouest. Vingt et un naufragés réfugiés sur la hune sont récupérés. Quatre barques de pêche arrivent aussi sur les lieux, mais ne parviennent pas à s’approcher.
Les sauveteurs transfèrent les naufragés sur ces barques pour les soigner au plus vite à terre. Quant au canot d’Omonville, il arrive sur les lieux dans la nuit et ne trouve que des débris. Épuisé et à bout de force, l’équipage se résigne à rentrer, étant relevé par L’Adonis, l’aviso de Cherbourg.
La coque est éventrée et l’eau s’engouffre. Soixante-dix naufragés prennent place dans trois embarcations
Vers 23 heures, toute la population d’Auderville attend les naufragés pour les vêtir, les loger et leur prodiguer les premiers soins. Le lendemain, au point du jour, L’Espérance reprend la mer, à la recherche d’autres naufragés disparus – cinquante-cinq victimes au total –, puis sort une troisième fois à basse mer, avec à son bord un officier de marine chargé de visiter l’épave, dont on n’aperçoit plus que les bouts de mâts.
1– La station d’Omonville-la-Rogue (Manche) est créée en 1867 par la Société centrale de sauvetage des naufragés (SCSN) – ancêtre de la SNSM – deux ans avant celle de Goury. La station est officiellement supprimée en 1940, mais continue de fonctionner jusqu’en 1949 avec des barques de pêche locales.
2– Lancé en 1867, L’Amiral de Montaignac, de la station d’Omonville, est un canot en bois à redressement de 9,78 m, à dix avirons, construit par Forrestt and Son.
3– L’Espérance était un canot en bois à redressement de 9,78, à dix avirons, construit par les chantiers Normand, au Havre. C’était le premier canot de la station de sauvetage de Goury. Il fut condamné en 1904, après trente-quatre ans de service et cinquante-sept sorties de sauvetage.
4– Les canotiers engagés sur L’Espérance : Jean-Louis Fabien, patron ; François Lehardelay, secrétaire du comité de sauvetage ; Désiré Lavenu, brigadier ; Jean-Baptiste Hue, Henri Pezet, Jean-Baptiste Picot, Jean Bonissent, Charles Hue, Eugène Fontaine, Charles Lavenu, Pierre Pasquier, Pierre Jean, Jean-Louis Lefrançois; canotiers.
Article rédigé par Jean-Patrick Marcq, diffusé dans le magazine Sauvetage n°157 (3e trimestre 2021)