Sauvés par leur balise au large de l’Afrique du Sud !

Jean, un Français de 65 ans, et Kyle, son coéqui­pier sud-afri­cain de 20 ans, couraient tous les risques d’y rester, mais ils ont eu la présence d’es­prit d’em­por­ter – et de ne pas lâcher – leur balise EPIRB, avant que leur cata­ma­ran, le Lama Lo, ne chavire à 50 milles au large de la Wilde Coast, la côte sauvage de l’Afrique du Sud, peu avant la tombée de la nuit.

Une fois celle-ci déclen­chée, miracle des satel­lites, l’alerte atteint le CROSS Gris-Nez qui centra­lise toutes les alertes des bateaux français, où qu’ils soient à la surface du globe. Le chef de quart du CROSS, ce 17 octobre 2015, c’est Nico­las Thiollent, un homme qui a le sauve­tage chevillé au corps puisqu’il est aussi cano­tier sur la vedette de Saint-Valéry-en-Caux. Ce sauve­tage reste pour lui un souve­nir marquant.

Parmi les contacts qu’il a dans les heures qui suivent : le MRCC sud-afri­cain (l’équi­valent d’un CROSS français) qui met en alerte les sauve­teurs locaux, un héli­co­ptère et cinq bateaux sur zone. Mais aussi, une douzaine d’heures après l’alerte, arrive sur zone l’un des immenses porte-conte­neurs de l’ar­ma­teur français CMA-CGM : le Rossini, qui rallie Port Kelang (Malai­sie) à Cape Town (Afrique du Sud). Et – hasard extra­or­di­naire – son comman­dant, Hervé Lepage, fait lui aussi partie de la « grande famille » de la SNSM. Cano­tier à la station de La Rochelle, lorsqu’il est « à terre », il a les réflexes du sauve­teur. Nico­las le sent au premier contact. Heureu­se­ment, car si les naufra­gés ont pensé à empor­ter leur EPIRB et à la déclen­cher, la préci­pi­ta­tion leur a fait commettre des erreurs. Qui n’en ferait pas dans une situa­tion simi­laire ? Peu de temps pour réflé­chir entre le moment où leur voilier de 16 mètres, sous pilote, équi­page à l’in­té­rieur, entre en colli­sion avec une baleine, et celui où il se retourne. Imagi­nez l’af­fo­le­ment ! La coque bâbord ne présente plus qu’un trou en lieu et place de l’ai­le­ron arra­ché, et se remplit inexo­ra­ble­ment. Tout juste le temps d’éva­cuer après avoir rassem­blé quelques affaires, un peu de nour­ri­ture, et de l’eau.

Assez vite, les bateaux dérou­tés retrouvent le cata­ma­ran retourné. Aucune présence à bord. Une survie vide est décou­verte. Autant de signes qui n’in­citent pas à l’op­ti­mis­me… La survie a-t-elle été percu­tée non amar­rée au bateau, ou bien les deux naufra­gés ont-ils tenté de la remorquer derrière l’an­nexe avant de l’aban­don­ner ? Deux versions existent.

Le « Lama Lo », chaviré, après que la coque bâbord ait percuté une baleine et se soit ouverte.

Au même moment, à quelques enca­blures de là, le Français et le jeune Sud-Afri­cain se retrouvent ballot­tés par la tempête, dans la petite annexe gonflable du cata­ma­ran qui menace à tout instant de se retour­ner, dans ces eaux où les requins ne sont pas rares. Ont-ils été sépa­rés de la coque retour­née par la dérive ? L’ont-ils quit­tée volon­tai­re­ment, contrai­re­ment à tous les conseils, pour tenter de rallier la côte en pagayant ?

Seul accès, dans la muraille impres­sion­nante des très gros portes contai­ners, la petite porte qui permet notam­ment aux pilotes d’ac­cé­der à bord.​​​​​

Là aussi les versions divergent. Plus ques­tion de commu­niquer avec la VHF fixe du bord qui est sous l’eau. Le télé­phone satel­lite et la VHF portable étanche sont… déchar­gés. Les deux naufra­gés voient à l’ho­ri­zon certains des bateaux qui les cherchent. Mais ils ne peuvent pas commu­niquer. Imagi­nez leur déses­poir.

Heureu­se­ment il y a le Rossini, son capi­taine et son équi­page. Quand il comprend la situa­tion, il propose de partir à la pour­suite de la balise qui conti­nue à émettre. En passant près de l’épave qui est sur sa route, à 15 h 18, le Rossini donne quelques bons coups de sirène, au cas où les deux naufra­gés seraient réfu­giés dedans.

Handi­cap non négli­geable : la balise des deux hommes à la dérive n’est pas dotée d’un GPS inté­gré. Les esti­ma­tions de posi­tion données par le réseau de satel­lites COSPAS SARSAT ont plusieurs heures de déca­lage par rapport à la posi­tion réelle ; pire, une des posi­tions données est même aber­rante par rapport à la dérive. Or le temps presse. Il faut essayer de les retrou­ver avant la seconde nuit.

Après avoir véri­fié plusieurs posi­tions sans succès, Hervé Lepage décide d’an­ti­ci­per sur la dérive et de se rendre à vive allure vers une posi­tion plus éloi­gnée que la posi­tion théo­rique de la balise, puis de remon­ter vers elle.

Sur le pont : six jumelles et six paires d’yeux, auxquelles il a assi­gné 30 degrés d’ho­ri­zon chacune. À 19 h 30, à la tombée du jour, le comman­dant est en train d’or­ga­ni­ser son dispo­si­tif de ratis­sage de la zone, de nuit, en comp­tant sur le flash lumi­neux de la balise quand, enfin, l’of­fi­cier méca­ni­cien, Lyes Lassel, voit deux points orange sur le travers bâbord (de l’im­por­tance des couleurs vives !). Ce sont les bras­sières de sauve­tage des naufra­gés.

Coups de sifflet pour les rassu­rer. Reste à les récu­pé­rer. Le comman­dant ne veut pas risquer le sur-acci­dent en mettant une embar­ca­tion à l’eau dans la houle. La vedette des sauve­teurs en mer sud-afri­cains est en route, mais encore loin. Hervé Lepage arrive à posi­tion­ner l’énorme masse de 277 mètres de long et 13 mètres de tirant d’eau, de façon à casser le vent et la houle, à faible distance de la minus­cule embar­ca­tion pneu­ma­tique. L’équi­page envoie une touline (amarre légère) aux naufra­gés, une ving­taine de mètres plus bas. Il les ramène près de l’unique petite porte, qui sert habi­tuel­le­ment à embarquer ou débarquer le pilote, dans l’im­mense muraille. Le jeune Sud-Afri­cain parvient à monter à l’échelle. Le skip­per français est quant à lui à bout de forces. Le second capi­taine, Sadi Resde­dant, descend lui passer une sangle sous les bras. Enfin sauvés ! « J’en parle­rai encore dans long­temps à mon petit-fils », a écrit le skip­per français sur le site des sauve­teurs sud-afri­cains.

 

Article de Jean-Claude Hazera, paru dans le Maga­zine Sauve­tage n° 135 (1er trimestre 2016).