Une fois celle-ci déclenchée, miracle des satellites, l’alerte atteint le CROSS Gris-Nez qui centralise toutes les alertes des bateaux français, où qu’ils soient à la surface du globe. Le chef de quart du CROSS, ce 17 octobre 2015, c’est Nicolas Thiollent, un homme qui a le sauvetage chevillé au corps puisqu’il est aussi canotier sur la vedette de Saint-Valéry-en-Caux. Ce sauvetage reste pour lui un souvenir marquant.
Parmi les contacts qu’il a dans les heures qui suivent : le MRCC sud-africain (l’équivalent d’un CROSS français) qui met en alerte les sauveteurs locaux, un hélicoptère et cinq bateaux sur zone. Mais aussi, une douzaine d’heures après l’alerte, arrive sur zone l’un des immenses porte-conteneurs de l’armateur français CMA-CGM : le Rossini, qui rallie Port Kelang (Malaisie) à Cape Town (Afrique du Sud). Et – hasard extraordinaire – son commandant, Hervé Lepage, fait lui aussi partie de la « grande famille » de la SNSM. Canotier à la station de La Rochelle, lorsqu’il est « à terre », il a les réflexes du sauveteur. Nicolas le sent au premier contact. Heureusement, car si les naufragés ont pensé à emporter leur EPIRB et à la déclencher, la précipitation leur a fait commettre des erreurs. Qui n’en ferait pas dans une situation similaire ? Peu de temps pour réfléchir entre le moment où leur voilier de 16 mètres, sous pilote, équipage à l’intérieur, entre en collision avec une baleine, et celui où il se retourne. Imaginez l’affolement ! La coque bâbord ne présente plus qu’un trou en lieu et place de l’aileron arraché, et se remplit inexorablement. Tout juste le temps d’évacuer après avoir rassemblé quelques affaires, un peu de nourriture, et de l’eau.
Assez vite, les bateaux déroutés retrouvent le catamaran retourné. Aucune présence à bord. Une survie vide est découverte. Autant de signes qui n’incitent pas à l’optimisme… La survie a-t-elle été percutée non amarrée au bateau, ou bien les deux naufragés ont-ils tenté de la remorquer derrière l’annexe avant de l’abandonner ? Deux versions existent.
Le « Lama Lo », chaviré, après que la coque bâbord ait percuté une baleine et se soit ouverte.Au même moment, à quelques encablures de là, le Français et le jeune Sud-Africain se retrouvent ballottés par la tempête, dans la petite annexe gonflable du catamaran qui menace à tout instant de se retourner, dans ces eaux où les requins ne sont pas rares. Ont-ils été séparés de la coque retournée par la dérive ? L’ont-ils quittée volontairement, contrairement à tous les conseils, pour tenter de rallier la côte en pagayant ?
Seul accès, dans la muraille impressionnante des très gros portes containers, la petite porte qui permet notamment aux pilotes d’accéder à bord.Là aussi les versions divergent. Plus question de communiquer avec la VHF fixe du bord qui est sous l’eau. Le téléphone satellite et la VHF portable étanche sont… déchargés. Les deux naufragés voient à l’horizon certains des bateaux qui les cherchent. Mais ils ne peuvent pas communiquer. Imaginez leur désespoir.
Heureusement il y a le Rossini, son capitaine et son équipage. Quand il comprend la situation, il propose de partir à la poursuite de la balise qui continue à émettre. En passant près de l’épave qui est sur sa route, à 15 h 18, le Rossini donne quelques bons coups de sirène, au cas où les deux naufragés seraient réfugiés dedans.
Handicap non négligeable : la balise des deux hommes à la dérive n’est pas dotée d’un GPS intégré. Les estimations de position données par le réseau de satellites COSPAS SARSAT ont plusieurs heures de décalage par rapport à la position réelle ; pire, une des positions données est même aberrante par rapport à la dérive. Or le temps presse. Il faut essayer de les retrouver avant la seconde nuit.
Après avoir vérifié plusieurs positions sans succès, Hervé Lepage décide d’anticiper sur la dérive et de se rendre à vive allure vers une position plus éloignée que la position théorique de la balise, puis de remonter vers elle.
Sur le pont : six jumelles et six paires d’yeux, auxquelles il a assigné 30 degrés d’horizon chacune. À 19 h 30, à la tombée du jour, le commandant est en train d’organiser son dispositif de ratissage de la zone, de nuit, en comptant sur le flash lumineux de la balise quand, enfin, l’officier mécanicien, Lyes Lassel, voit deux points orange sur le travers bâbord (de l’importance des couleurs vives !). Ce sont les brassières de sauvetage des naufragés.
Coups de sifflet pour les rassurer. Reste à les récupérer. Le commandant ne veut pas risquer le sur-accident en mettant une embarcation à l’eau dans la houle. La vedette des sauveteurs en mer sud-africains est en route, mais encore loin. Hervé Lepage arrive à positionner l’énorme masse de 277 mètres de long et 13 mètres de tirant d’eau, de façon à casser le vent et la houle, à faible distance de la minuscule embarcation pneumatique. L’équipage envoie une touline (amarre légère) aux naufragés, une vingtaine de mètres plus bas. Il les ramène près de l’unique petite porte, qui sert habituellement à embarquer ou débarquer le pilote, dans l’immense muraille. Le jeune Sud-Africain parvient à monter à l’échelle. Le skipper français est quant à lui à bout de forces. Le second capitaine, Sadi Resdedant, descend lui passer une sangle sous les bras. Enfin sauvés ! « J’en parlerai encore dans longtemps à mon petit-fils », a écrit le skipper français sur le site des sauveteurs sud-africains.
Article de Jean-Claude Hazera, paru dans le Magazine Sauvetage n° 135 (1er trimestre 2016).