Solidarité planétaire pour un sauvetage hors normes

Récit d’un sauve­tage illus­trant la belle soli­da­rité des gens de mer, durant la troi­sième étape du BOC Chal­lenge, course autour du monde à la voile en soli­taire, en février 1983. Un skip­per porte secours à l’un de ses concur­rents.

Jacques de Roux, à bord de Skoïern
Jacques de Roux, à bord de "Skoïern III", quelques minutes avant le départ de la première édition du BOC Challenge le 28 août 1982. © Jean-Philippe Malice

9 février 1983. Jacques de Roux, skip­per de Skoïern III, est engagé dans la troi­sième étape de la nouvelle course en soli­taire autour du monde nommée BOC Chal­lenge, qui relie Sydney à Rio de Janeiro. Il est en fuite sous tour­men­tinpar 65 nœuds de vent lorsque Skoïern III enfourne par l’avant et se retrouve quille en l’air. Quand il se redresse quelques minutes plus tard, le voilier est mortel­le­ment touché. Le mât brisé a perforé la coque. Privé de moteur, de batte­rie et de télé­com­mu­ni­ca­tions, Jacques affran­chit sommai­re­ment la voie d’eau et monte un grée­ment de secours. Il se trouve alors à mi-distance de la Nouvelle-Zélande et du Cap Horn. À plus de 2 000 nautiques de Tahiti et du Chili – soit plus de 3 700 kilo­mètres –, Skoïern III est hors de portée des aéro­nefs de sauve­tage et à près d’une semaine de navi­ga­tion pour un navire de secours. La survie de Jacques dépend du signal de détresse de sa balise Argos2, qu’il vient de déclen­cher. 

En charge de la direc­tion des secours, le centre des opéra­tions de la Marine à Tahiti prend la déci­sion origi­nale d’as­so­cier des radio­ama­teurs à son opéra­tion. Depuis le début de la course, plusieurs concur­rents du BOC Chal­lenge équi­pés d’émet­teurs-récep­teurs de radio­ama­teurs ont en effet pris l’ini­tia­tive de déve­lop­per, avec des stations à terre, un réseau infor­mel très souple à exploi­ter, qui leur permet d’échan­ger régu­liè­re­ment entre eux et avec leurs proches. 

C’est ainsi qu’une équipe de radio­ama­teurs de Papeete, des États-Unis, d’Aus­tra­lie et de Nouvelle-Zélande s’or­ga­nise pour établir et main­te­nir le contact avec un autre concur­rent, Richard Broadhead, skip­per de Perse­ve­rance of Medina, et le guider vers Skoïern III. Celui-ci récu­père Jacques sain et sauf moins de deux jours après son naufrage et le trans­fère sur un aviso – un escor­teur – dépê­ché par la Marine natio­nale, qui le débarque à Papeete dix jours plus tard.

Au-delà de la passion qui les anime, les membres du réseau mondial des radio­ama­teurs sont aussi de magni­fiques ambas­sa­deurs de la soli­da­rité des gens de mer. 

1– Sous tour­men­tin : lorsque cette voile est utili­sée seule, elle main­tient le bateau aux allures de fuite.

2– Argos : Système de loca­li­sa­tion par satel­lite, déve­loppé conjoin­te­ment par les États-Unis et la France pour les besoins de la recherche océa­no­gra­phique, auquel s’est abon­née la direc­tion de course, basée à Newport (États-Unis). Les bateaux sont équi­pés de balises indi­vi­duelles qui renvoient auto­ma­tique­ment et régu­liè­re­ment la posi­tion des concur­rents, relayée par un centre de trai­te­ment situé à Toulouse. Les skip­pers n’ont pas connais­sance de cette posi­tion, mais peuvent utili­ser la balise pour déclen­cher un signal de détresse en cas d’ur­gence.

Article rédigé par Yves Lagane, président d’hon­neur de la SNSM, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°156 (2ème trimestre 2021)


Des sauve­tages spec­ta­cu­laires

Le sauve­tage de Kevin Escof­fier par Jean Le Cam au cours du dernier Vendée Globe est une magni­fique aven­ture humaine, soute­nue par une orga­ni­sa­tion de sauve­tage très rodée. La situa­tion est bien diffé­rente en 1983. À l’époque, les CROSS se mettent en place, la navi­ga­tion par satel­lite est balbu­tiante, les commu­ni­ca­tions par satel­lite ne sont pas encore acces­sibles aux navi­ga­teurs et les condi­tions de propa­ga­tion des ondes radio rendent très aléa­toires les liai­sons par BLU marine – radio­té­lé­pho­nie en bandes marines – dans les zones très éloi­gnées de 
l’hé­mi­sphère sud. Ce type de course a donné lieu à plusieurs sauve­tages spec­ta­cu­laires et humains, illus­trant concrè­te­ment le prin­cipe de soli­da­rité des gens de mer.


Qui était Jacques de Roux ?

 

Jacques De Roux
© Chris­tian Chef­nay

Offi­cier de marine et ancien comman­dant de sous-marin, Jacques quitte la Marine en 1982 pour « navi­guer désor­mais pour [son] plai­sir ». À l’is­sue du naufrage de Skoïern III, il dirige une impor­tante pêche­rie de thons à Biak (Papoua­sie occi­den­tale) et se fait construire Skoïern IV pour prendre le départ de la seconde édition du BOC Chal­lenge. Il dispa­raît en mer lors de cette course en 1986 au large de Sydney, à l’âge de 49 ans.

Avec Yves Lagane, il avait couru en 1979, à bord de Skoïern III, la tran­sat en double Lorient-Les Bermudes-Lorient sans escale.