Un beau soleil d’hiver. Froid, comme la mer à 14°C, avec un vent glacial de nord-est de force 6 Beaufort. Il en faut davantage ce 23 novembre 2021 pour décourager huit membres du CKCV, le Canoë Kayak Club de Vannes, qui organise régulièrement le mardi matin une sortie dans le golfe du Morbihan. La mer descend et, combiné avec le vent, le courant de marée de la Jument peut expédier vers le large quiconque s’approche de la sortie du golfe. En trois ans de pratique régulière et d’exercices, Philippe Jehanno, 62 ans, kayakiste licencié au CKCV, a appris à composer avec les éléments.
Découvrez son témoignage en son et en images ci-dessous :
Ce matin-là, le groupe renonce à s’engager dans le courant de la Jument (un des plus puissants d’Europe) et fait une pause en eau calme avant de prendre le chemin du retour, vers 11 heures. Philippe Jehanno a encore la gorge nouée, début janvier, en racontant la suite. À l’arrière de la flotte, l’un des participants est en difficulté. Les kayakistes les plus proches vont l’aider. La flotte s’étire et deux groupes se créent. Philippe Jehanno se trouve isolé entre les deux et personne ne le voit chavirer. Il parvient à se dégager et à remettre son bateau à l’endroit, mais pas à remonter à bord, manœuvre difficile sans assistance, surtout dans ces conditions météo. Il se souvient des consignes : tenir le kayak par la pointe et ne pas le lâcher en attendant d’avoir de l’aide. Il tente bien de diriger son embarcation vers un rocher ou une bouée pour s’y agripper, mais le courant est le plus fort et il est littéralement expulsé du golfe !
« Au début, je me disais : « ils vont s’apercevoir que je ne suis pas là et déclencher les secours. » J’attendais, puis c’est devenu difficile. Je pensais à mes filles, j’étais content de les avoir vues, d’avoir fait des choses avant de… Je pensais que c’était la fin. À 62 ans, c’est dommage de mourir aujourd’hui. »
Je pensais que c’était la fin.
Impressionnante coordination des acteurs du secours en mer pour venir en aide au kayakiste tombé à l’eau
Il ignore que le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Étel a été alerté par un appel au 196, le numéro d’urgence des secours en mer, et a engagé le semi-rigide SNS 739 Patron Alain Lamoureux de la station SNSM du Golfe du Morbihan, ainsi que la vedette SNS 145 Félicien Glajean de la station d’Arzon – Port-Navalo. L’hélicoptère de la gendarmerie se joint aux recherches, ainsi que Dragon 56, celui de la Sécurité civile. À terre, deux patrouilles de gendarmes complètent le dispositif.
« Nous avons commencé à faire des lacets travers au courant pour tenter de le repérer en mettant tous nos canotiers autour de la passerelle avec des jumelles, raconte le président de la station d’Arzon – Port-Navalo, Dominique Samuel. Nous avions aussi notre caméra thermique, d’une portée de 800 mètres. Très vite, l’hélicoptère de la gendarmerie nous a dit avoir repéré le naufragé. Il nous a guidés et nous l’avons rejoint en quelques minutes. »
L’homme tombé de son kayak est tétanisé de froid
Utilisant sa trappe arrière, la vedette a pu récupérer le naufragé à 11 h 55. « En hypothermie, il ne bougeait plus, était complètement tétanisé. Dans la passerelle, chauffage à fond, nous l’avons déshabillé, couvert et sécurisé, poursuit Dominique Samuel. Nous n’avons pas arrêté de lui parler. Il était tellement tétanisé que nous n’arrivions pas à lui plier les bras pour lui enlever sa combinaison. C’était impressionnant. Pourtant, il était bien équipé, combinaison, surcombinaison, un coupe-vent, un casque, des gants et des chaussons. Il était grand temps qu’on le sorte de là. »
Dans ces conditions, le SAMU de Coordination Médicale Maritime a préconisé son transfert à l’hôpital de Vannes par l’hélicoptère Dragon 56 posé à côté du VSAV des pompiers d’Arzon, qui l’a pris en charge au port du Crouesty.
L’analyse de Dominique Samuel : « Ne pas quitter son bateau l’a sauvé. »
« Nous sommes très satisfaits de la collaboration entre le CROSS et les unités engagées, les hélicoptères, les pompiers, la gendarmerie… Un panel de moyens a œuvré ensemble pour sauver cet homme. Et cette collaboration a été très efficace. Il était bien équipé, heureusement pour lui. On sent que c’est quelqu’un qui a la maîtrise de sa passion. Une chose extrêmement positive de sa part, il n’a pas quitté son bateau. C’est ce qui l’a sauvé. »
Comme trop souvent, les sauveteurs regrettent que les pratiquants n’aient pas davantage le réflexe de choisir des équipements aux couleurs plus visibles. Gilles Le Floc’h, président de la station du Golfe du Morbihan, suggère d’avoir sur soi une petite VHF portable étanche pour alerter en cas de difficulté. Et, bien sûr, le bracelet étanche DIAL est toujours disponible à la boutique de la SNSM pour sécuriser tous les pratiquants de sports nautiques proches de la côte.
Nos sauveteurs sont formés et entraînés pour effectuer ce type de sauvetage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !
Article rédigé par Dominique Malécot, diffusé dans le magazine Sauvetage n°159 (1er trimestre 2022)
Équipages engagés
Vedette de première classe SNS 145 Félicien Glajean
Patron titulaire : Emmanuel Jacobée
Patron suppléant : Dominique Samuel
Mécanicien : Serge Le Port
Mécanicien / SNB1 : David Robert
Équipiers : Georges Bourgeois, Mathieu Le Barbier, Alain Saulnier
Station SNSM du Golfe du Morbihan Semi-rigide SNS 739 Patron Alain Lamoureux
Patron suppléant : Laurent Malet
Équipier : Philippe Rommé
Nageur de bord : Serge Roussel