« Tout va bien, je suis là », résume Benoît Duval, patron solitaire de L’entre deux caps – flobart de la Côte d’Opale. Un résumé tout en retenue après une aventure risquée entre fortune et infortune. Dimanche 11 décembre, il est en pêche sur son bateau de 4,95 mètres de long.
Benoît Duval à bord de son flobart: © Anne Sophie Flament
Un casier croché
Passé 14 h 30, Benoît relève ses casiers. Une tâche pénible qu’un treuil facilite… ou parfois complique ; et c’est le cas aujourd’hui par une mer de force 3 et un vent d’ouest tout aussi raisonnable. Au large du Cap Gris-Nez, un dernier casier a choisi de crocher. Seul à bord, Benoît doit décider en une poignée de secondes si cet ultime casier obéira aux sollicitations de la machine ou les vaincra. Sur le treuil, l’orin du casier patine puis prend. « Alors, sous l’effet de levier, racontera Benoît, le bateau s’est cabré ». Se déplacer rapidement pour étouffer le treuil devient une gageure. Les fonds du bateau sont abrupts et glissants. Trop tard. L’eau envahit déjà le bord. Le bateau se retourne et coule par l’avant. Benoît passe à la mer mais parvient à se hisser sur la coque quille en l’air. Appeler les secours. « Mes réflexes sont allés à Mélissa, ma compagne ». Elle tient une aubette où ils écoulent sa pêche.
« Je coule, appelle le CROSS »
Capelé dans son gilet de sauvetage, le naufragé dégaine son portable étanche et clique le numéro de Mélissa. Pas de mots tendres ; juste l’essentiel : « je coule. Appelle le CROSS ». Pas de précision non plus mais Mélissa sait bien dans quelle zone pêche son homme. Sur le 196, elle contacte le CROSS Gris-Nez. Il est 14 h 37.
Le CROSS engage aussitôt d’importants moyens de secours. Pour la vie d’un seul, bien d’autres hommes sont mobilisés. Ceux de l’équipage du Guépard Whisky, un hélicoptère Dauphin de la Marine nationale basé au Touquet. Ceux du Xenon C, un Falcon 50 de l’aéronavale déjà en patrouille au-dessus de la Manche. Ceux aussi de la DF 37 Nordet, une vedette des Douanes basée à Boulogne-sur-Mer. Ceux enfin de la SNS 076 Président Jacques Huret de la station SNSM du même port – une station qui peut s’enorgueillir d’un très long passé au secours des naufragés : doyenne des 218 stations SNSM, elle a été organisée dès 1825.
Rongée d’inquiétude, Mélissa a assez de sang-froid pour ajouter un atout à ce dispositif. Son joker : Axel Baheu, patron de L’Infatigable, une embarcation rapide. Ami fiable, Axel a tôt fait de mettre le cap sur la zone de pêche la plus souvent fréquentée par Benoît à environ 0,8 mille dans l’ouest de la pointe du Nid du Corbet. A 15 h 34, Axel repère des espars en dérive dont quelques cordages. C’est tout ce qui reste du fier Entre deux caps. De Benoît, rien. Le CROSS est averti. Sur cette information précise donnée par Axel, le dispositif de recherche se recale. Et avec lui, le cap de la SNS 076.
Une eau glaciale
Dans cette eau noire à 9°, Benoit patauge entre creux et crêtes. « J’ai très vite perdu mon portable, précisera-t-il. Puis mes cuissardes remplies d’eau me tiraient vers le fond. Il fallait absolument que je m’en débarrasse ». « Dans la manœuvre, j’ai perdu mon gilet de sauvetage ». Fautes d’apparaux à proximité sur lesquels prendre appui, Benoit a la présence d’esprit de créer une poche d’air avec son ciré. Ce sera sa bouée de fortune mais une bouée salvatrice. Autre initiative heureuse : « j’ai fait du retro pédalage pour lutter contre l’engourdissement du froid ».
Sauvé in extremis
Parvenu à 200 mètres de L’Infatigable, les 6 canotiers bénévoles de la SNSM montant le Président Jacques Huret tiennent enfin un visuel sur Benoît. D’une manœuvre souple menée par le patron Guillaume Gatoux, la longue coque verte et orange de la SNS 076 construite en 1992 se place à hauteur du naufragé. Des bras puissants ont tôt fait de le hisser. Buvant la tasse, il est bleu de froid, bras et jambes déjà paralysés. « C’était moins une pour lui », dira le patron. Peu d’individu réussissent à tenir aussi longtemps dans une eau aussi froide. Benoît a fait mentir des statistiques cruelles grâce à son mental et à sa forme physique, celle d’un jeune pompier volontaire quand il n’est pas à la mer. « Son hypothermie était suffisamment avancée, soulignera le patron Guillaume Gatoux, pour que s’organise une conférence avec le SCMM (centre de secours maritime) du Havre ». Avec à peine 20 minutes de mer pour rejoindre Boulogne, l’option d’une délicate évacuation par hélitreuillage est écartée. C’est donc une « momie » emballée de couvertures que les canotiers confient à quai à une ambulance des pompiers. Mais une momie vivante. Benoît a la vie sauve, sans séquelles, mais son bateau perdu. Avec lui son gagne-pain et celui de Melissa. Fortune, infortune. Repartira-t-il en mer ? « Oui, il le faut bien ».
Mélissa Decorde et Benoît Duval: La Voix du Nord © Guy Drollet
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Article de Patrick Moreau, paru dans le Magazine Sauvetage n° 139 (1er trimestre 2017).
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Équipage de la SNS 076
Patron : Guillaume Gatoux
Mécanicien : Arnaud Dumont
Radio : Didier Poniter
Canotiers : Michel Pochet, Thomas Pontier, Olivier Specque