« Je ne savais pas marcher que, déjà, j’étais sur l’eau ! », Charles Pilorget avait le sens de la formule. Né à Dinan, en août 1927, « dans les Côtes du Nord », il embarque dès l’âge de 2 ans sur une plate familiale avec son père et son grand-père, pour des balades à Saint-Briac (Ille-et-Vilaine). Dès lors, la passion ne le quitte plus. Il passe ses journées à naviguer. A la fin de la guerre, en 1946, avec son frère Paul, il reprend contact avec l’élément liquide. « À bord d’une plate baptisée Shwall, à deux paires d’aviron, nous étions les meilleurs de la Bretagne-Nord ! ».
C’est le début d’une grande histoire d’amour avec les bateaux et son engagement pour le sauvetage en mer.
Boulimique de voiliers
À cette époque, il apprend le métier de sauveteur en surveillant les plages autour de Saint-Briac, sous la bannière des Hospitaliers Sauveteur Bretons (HSB). En 1949, il jette l’ancre à Vannes, au bord du Golfe du Morbihan, où il tient un commerce familial. Il n’en reste pas moins sauveteur aux HSB dans « la petite mer », qu’il a également plaisir à fréquenter en tant que plaisancier. Et son goût pour la voile le pousse très souvent à largement sortir du Golfe pour des croisières vers les îles britanniques et les Açores, notamment. Sur des voiliers de 40 et 50 pieds, pour lesquels il a une véritable boulimie. « Quand j’en vois un, j’ai envie de l’essayer. Je me dis : on doit être bien à bord. Si c’est dans mes possibilités financières j’achète ! » Il ne compte plus les voiliers. À 74 ans, il en était à son 61e ! Deux ans plus tard, à 66 ! Un record de nature à figurer dans le Guiness Book ! « En 1963, j’ai changé quatre fois de bateaux, je n’arrivais pas à trouver celui qui me convenait. Une année exceptionnelle. »
Au fil des années, le plaisancier barre toutes sortes de voiliers. Des bêtes de courses, comme les fameux Requin et, aussi, de solides et confortables habitables. « À deux reprises, j’ai eu un faible pour les vedettes. Mais, à dire vrai, le moteur ce n’est pas mon truc. Je suis vite revenu à la voile. Avec une affection particulière pour 'Cœur de Lion’, un Sun Magic de 13 m, le plus exaltant à la barre et 'Dame de Cœur’, un Espace 1300, de 14,75 m, le plus puissant, le plus sûr. Une pure merveille ».
« Aller au caillou »
Dans le même temps, Charles Pilorget prend une part de plus en plus active à la station de sauvetage. Il en devient le président en 1963, puis réélu en 1967, à la naissance de la SNSM. Dès lors, il n’aura de cesse de faire évoluer la station et, surtout, de lui procurer des moyens financiers, grâce à un relationnel assez impressionnant et un sens inné des relations publiques. Pas un préfet qui ne soit monté à bord de la vedette SNSM. Et on ne compte pas les ministres, de passage dans le Morbihan, invités à un exercice sur le Golfe. « C’est important de faire connaître le travail des sauveteurs, tous bénévoles ; de dire que le golfe n’est pas un lac ! Ici, courants et contre-courants peuvent rendre la navigation difficile. D’autant que dans cette « petite mer », naviguent pêle-mêle à partir du printemps : vedettes à passagers, voiliers, caboteurs, planches à voile, etc. »
Et puis, il y a toutes ces alertes en pleine nuit. Les appels téléphoniques du CROSS Etel pour une embarcation en difficulté. « On tire les copains de leur sommeil pour armer la vedette et c’est parti ! Pour deux heures, trois heures et plus, parfois de recherche, dans la nuit noire, dans le brouillard. À l’Est, dans le fond du Golfe, près des vasières, c’est peu profond, les interventions sont délicates. Mais faut bien y’aller ! Sans parler des fausses alertes avec ces tirs de fusées de détresse déclenchés sans raison. »
Des sauvetages, Charles Pilorget en a connu des dizaines. « Aller au caillou », selon son expression. Parmi ses souvenirs, le secours à un véliplanchiste. « Dans une mer bien formée avec du jusant, entre Locmariaquer et Port Navalo, à une vitesse de 4 nœuds, la vedette a manqué de chavirer. J’ai récupéré mon frère Paul par la veste au moment du sauvetage. » Ou encore, « ce voilier en difficulté, en amont de la roche du Grand Mouton, dans le courant de la Jument (9 nœuds), l’un des plus forts d’Europe. »
Son dévouement et son charisme ne sont pas passés pas inaperçus aux yeux de la Nation. L’Ordre national du Mérite (commandeur), la Légion d’Honneur (chevalier), le Mérite maritime (commandeur), sont autant de récompenses épinglées sur la poitrine de Charles Pilorget, par ailleurs colonel de réserve de… l’Armée de Terre.
En hommage à Charles Pilorget, l’Amiral Gazzano, ancien président de la SNSM, lui a adressé un appel sous les voûtes de la Cathédrale de Vannes, le 23 janvier : « Préparez-nous un petit coin de paradis, aussi vert et riant que le Golfe, avec le Bon Dieu en plus… et la mer à vos pieds. Quand le goéland s’y posera, nous saurons, comme le raconte joliment la légende de Bretagne, que c’est votre âme venue nous effleurer et nous consoler ».
Portrait rédigé par Francis Salaün, paru dans le Magazine Sauvetage n° 139 (1er trimestre 2017).