A 59 ans, sa vie ressemble à un roman d’Alvaro Mutis, trop réservé pour ne pas se révéler au premier venu. Sûr, « Le Nab » un surnom qui lui colle à la peau depuis les années 80, une époque où il usait ses cirés sur les bateaux de course les plus prestigieux, s’est assagi avec les années. Comme les bons vins, il s’est bonifié avec le temps. Mais marin, il était. Marin il est resté, jusqu’à occuper depuis le 1er janvier 2012 le poste de patron titulaire sur le Pourquoi Pas ? II, le canot tous temps SNS O72 de la station de Saint-Malo. Quand il évoque ses débuts, il ne manque jamais de rappeler ses maîtres : Yvon Thomas, un grand monsieur et le Commandant Winter qui lui a transmis la connaissance parfaite des dangers de la baie. Pour Yann qui la pratique au quotidien, c’est une zone où il faut toujours rester sur ses gardes. « On en apprend tous les jours » tient à préciser l’ex prof de gym qui ne fit qu’un bref passage par l’Education Nationale. Et d’ajouter simplement : « qu’on n’est pas là pour juger les personnes que l’on sauve. Mais pour les sortir de la “merde. »
Entré à la SNSM il y a une dizaine d’années comme simple canotier, il reconnaît avoir toujours rêvé de sauvetage. Depuis l’époque où encore gamin, il ne manquait pas une occasion de trainer ses sandales du côté du canot de Ploumanac’h, ou de celui de Perros-Guirec, là où il fit ses premières armes en dériveur avant de gravir toutes les marches qui le mèneront à naviguer avec les plus grands. Pour un peu, quand on l’interroge sur sa carrière de voileux, il s’excuse d’avoir oublié les dates. « Je suis fâché avec elles », ajoute-t-il. Quelle importance ? Il a touché à tout. Parcouru toutes les mers du Globe. Partagé le quotidien des marins qui ont écrit de grandes pages de la course au large. Dans le désordre : Florence Arthaud, Philippe Poupon, Philippe Facque, Éric Tabarly, Jean-Louis Fabry ou encore l’Australien John Bertrand. Tous sans exception, appréciaient son sens de la manœuvre complété par sa passion du matelotage apprise auprès d’un “maître ès nœud” depuis longtemps disparu, Georges Commarmond. Pour compléter le tableau, il faudrait y ajouter une préparation olympique en Soling avec Henri Samuel et des régates sur Hélisara mené par le maestro Herbert Von Karajan. Sans oublier cette chute sur le pont depuis le deuxième étage de barre de flèche du Maxi Emeraude qui aurait pu le clouer dans un fauteuil roulant. En tout cas, rencontrer Yann, c’est partager sa passion, la mer. Mais c’est aussi l’écouter évoquer une vie où il fut au gré des années commandant d’un remorqueur au Gabon durant trois ans, directeur d’un armement de pêche malouin…
Il est vrai qu’il n’a pas de week-end, mais il reconnaît avoir la chance de pratiquer le métier qu’il aime. C’est vrai aussi qu’il occupe ses soirées à donner un coup de main à sa compagne, Christine qui a créé il y a douze ans, la société « Vent de Voyage ». Une fabrique de sacs et d’accessoires confectionnés à partir de voiles usagées que Yann termine en se chargeant des travaux de matelotage. Ses rares loisirs, il les occupe à dévorer les romans de Conrad ou de Roger Vercel ou à retaper sa maison de Saint-Malo qui voit débarquer-sans prévenir- son fils Quentin. Seulement 22 ans, mais déjà un lourd passé de régatier marqué par une première participation à la Solitaire du Figaro. On connaît le dicton, tel père, tel fils. Il se vérifie chez Le Nabour…
Bernard Rubinstein