« Ils sont cinq à courir ainsi dans la nuit et arrivent en même temps à l’abri. Le canot les y attend, lui aussi la sirène l’a réveillé. Chacun à son poste, le patron crie »largue" au treuilliste et le canot glisse sur ses rails. Son étrave dans un feulement frangé d’écume a pénétré l’eau du vieux bassin. Aussitôt les moteurs se sont mis en route, chacun est à son poste. Par radio, le guetteur du sémaphore annonce un appel de détresse dans le 150. Serrés les uns contre les autres, les visages blafards sont encore bouffis de sommeil, à peine éclairés par le pâle halo de la veilleuse du compas."
Ces quelques phrases extraites de son recueil de textes Embruns de vie* sont de Michel Zambrano, président de la station SNSM de Sète depuis vingt-huit ans. Il les a écrites avec ses mots, laissant parler son cœur, sa façon à lui de témoigner de ses premières années passées à bord du canot tous temps Maréchal Joffre. Le S 12, construit comme l’Aimée Hilda par le chantier Jouët, lancé en 1939 mais livré après la guerre, en 1948.
Bouée de sauvetageC’est à bord de ce canot de 11,50 mètres, identique à celui de Ploumanac’h, que Michel fait ses premières armes de sauveteur sous le commandement du patron, Louis Vellardocchia. Nous sommes en 1975. À cette époque, l’alerte est donnée, de jour comme de nuit, par les cinq coups longs de la sirène du sémaphore du Mont Saint-Clair. Si les moteurs d’origine du Joffre, deux Baudouin DB2 à démarrage à air, ont cédé leur place aux deux Renault Marine Couach de 80 CV, sa mise à l’eau se fait toujours à l’aide de rails et d’un treuil qui propulsent en quelques secondes le canot à la mer, là où sont désormais implantés les premiers pontons du port de plaisance.
Aujourd’hui, l’ancien abri situé sous la jetée du Môle Saint-Louis, fait office de sanitaires. Mais Michel a tenu à me montrer les deux petits tronçons de rails qui reposent sur le fond du port. Tout comme il a voulu me réserver une bonne surprise dans les locaux de la SNSM, avec la maquette au 1/30e du Maréchal Joffre, minutieusement réalisée par Jacques Brotodeau, un Officier mécanicien originaire des Sables d’Olonne. En pointant son doigt, il m’a désigné l’endroit où en tant que radio du bord, il se tenait durant les interventions. Dans le cockpit arrière, à l’entrée du rouf, la meilleure place pour surveiller le sondeur à bandes, la radio gonio, le Radar Decca et écouter les communications de la VHF.
« À six, il fallait se serrer, m’a-t-il précisé, mais nous n’étions pas les plus mal lotis. Ce sont les deux équipiers logés dans le cockpit avant qui en prenaient plein les yeux. C’est là qu’était stockée la remorque de 600 mètres qu’il fallait sortir, dérouler sur le passavant pour enfin la frapper sur les deux bittes arrière ».
Et puis, comme s’il tenait à replonger dans ses souvenirs, Michel s’est levé. S’est dirigé vers l’armoire aux archives pour en extraire le classeur de l’année 1984, là où il a consigné – rapport oblige – la pire de ses interventions sur le Maréchal Joffre, celle du 14 mars 1984. Motif de la sortie : porter secours à une goélette en acier de 13,80 mètres, Brin d’île, en avarie de gouvernail dans le sud de Sète. Les conditions de temps sont très mauvaises, force 8 à 9, grosse mer. Il faut même faire appel à un hélicoptère, une Alouette II, pour repérer le voilier en perdition. Passer la remorque tient du miracle. De plus, en voulant affaler la voile d’avant, l’un des équipiers du voilier passe par-dessus bord avant d’être récupéré. « Ce jour-là, raconte Michel, couchés à deux reprises, nous avons même dû filer de l’huile par les dalots pour franchir la passe est du port du Commerce. N’empêche, ajoute-t-il. Avec son cul norvégien, par mer de l’arrière, le »Maréchal Joffre" n’enfournait jamais. C’était un sacré canot même si par gros temps c’était eaux courantes à tous les étages". Traduisez, on était submergés par les vagues. Certains auraient jeté l’éponge, passé le relais aux petits jeunes. Pas Michel, qui après douze années passées sur le Maréchal Joffre, rempile toujours comme radio sur le canot tous temps Patron Marius Oliveri, arrivé à la station de Sète en 1987.
À soixante-neuf ans Michel a fait du sauvetage sa seconde famille. Chaque jour, ce fils et petit-fils de sétois, amoureux des phares, ne manque jamais une occasion de se rendre à la station. Une fois par mois, il est de toutes les sorties d’entraînement, de toutes les corvées. Non sans humour, il se définit comme un « Pilote de ligne », pilote de sa canne à pêche qu’il aime utiliser du côté de l’Île de Sein avec une autre grande figure du sauvetage en mer, François Spinec. De fait, comme sur l’Île, Sète devrait recevoir fin 2017 le dernier modèle de canot, prétexte pour Michel d’écrire d’autres belles histoires.
Portrait rédigé par Bernard Rubinstein, Sauvetage Magazine n°134 (4ème trimestre 2015)
* Michel Zambrano a écrit Embruns de vie, un petit recueil de 33 pages illustré par Pierre Lesc, vendu 10 € au profit de la SNSM. Préfacé par Marie-Hélène Leclercq, présidente de la Société nautique de Sète, il rappelle que « le sauvetage se partage, comme le pain ».