Dans les années cinquante, Etel était un port de pêche très prospère, le plus grand de la côte atlantique pour la pêche au thon. L’avenir d’un jeune semblait tout tracé, surtout pour un fils de patron-pêcheur. C’était le cas de Pierre-François Malette dit « François » ou « Camarade » comme son père, sauf que François, malgré une campagne aux thons dès l’âge de 15 ans, ne voulait pas naviguer.
Inscrit maritime
Que va-t-on faire de lui ? Il s’intéresse à la mécanique et le voilà donc dans un atelier, et à Etel, ce ne sont pas des tracteurs que l’on motorise, mais des bateaux… A force de cheminer dans les coursives et les salles de machines, voilà notre mécanicien « inscrit maritime » puis à l’Ecole François Toullec de Lorient, enfin officier-mécanicien sur les plus grands chalutiers de l’époque.
A l’entrée de la ria, on est forcément marqué par le sauvetage en mer avec la traîtresse barre que l’on voit depuis le port et tous les drames qui ont endeuillé la région.
François Malette se souvient encore avec une émotion difficilement contenue de ce 3 octobre 1958. Alors qu’il travaille sur un moteur avec un collègue sauveteur, celui-ci doit rejoindre le canot qui se tient prêt à intervenir en assistance d’un prototype de bateau pneumatique (le fameux Bombard) essayé par gros temps dans la barre d’Etel.
Le pneumatique se retourne. Lors de l’intervention, le canot de sauvetage, les hélices prises dans une aussière, est roulé dans la barre. Cinq canotiers et 4 équipiers du pneumatique trouvent la mort. François s’était porté volontaire pour embarquer ce jour-là et s’était fait rabrouer… Peut-être ne serait-il plus là aujourd’hui !
Canotier
Pourtant, dès sa retraite, François Malette ne pense qu’à retourner sur l’eau et en 1989, le voilà à la SNSM, sur le canot Patron Emile Daniel portant le nom du patron mort dans le drame du Bombard. L’équipage, à cette époque, est entièrement constitué d’anciens marins.
L’évocation de la technicité actuelle des canotiers et des tenues des sauveteurs ou des brassières autogonflantes éveille les souvenirs du vétéran. A sa première intervention, il avait passé une brassière, ce qui avait suscité cette remarque : « on n’embarque pas quand on a peur ! ». Il avait rétorqué qu’il désapprouvait les prises de risque inutiles. Il n’a jamais faibli sur ce point et a toujours enfilé sa brassière durant ses 11 années de sauveteur.
Atteint par la limite d’âge, il se voit bientôt contraint de « mettre sac à terre » et de regarder, depuis le quai, le Patron Emile Daniel partir en intervention. Au cours de l’une d’entre elles, un nouveau coup du sort va atteindre la vedette. En 2003, elle heurte une balise immergée, la coque est déchirée à bâbord sur presque toute la longueur et le choc est tel, qu’une barre de fer vient même éclater un carter moteur. Le canot parvient à rejoindre la terre, mais est considéré comme irréparable. C’est mal connaître les anciens qui décident de se battre, fondent une association et reprennent du service pour sauver le canot au nom emblématique… Chacun selon ses compétences, François, bien entendu, à la mécanique. Mais maintenant, à 80 ans, il lui faudra bien, un jour, passer le relais et il sait qu’il pourra compter sur un jeune « mécano » pour le seconder, son petit-fils Jérémy.
Lycée Maritime d’Etel
Elevé au bord de la rivière d’Etel, Jérémy est attiré très jeune par la mer, son horizon quotidien. Les récits de son grand-père n’y sont sans doute pas étrangers, et dès l’âge de 6 ou 7 ans il commence à naviguer avec lui. Au fil de l’eau, son attirance pour la mer et les bateaux se confirme et la passion de François devient celle de Jérémy. A 13 ans, le voilà sur le pont du Patron Emile Daniel mais, également au chevet des machines amoureusement entretenue par son grand-père. Il participe à bord de ce vénérable canot restauré à quelques rassemblements d’anciens navires, dont Douarnenez 2008. C’est là, précise François avec un sourire, « qu’il a connu le baptême du feu » avec « un bon coup de torchon dans le Raz de Sein ». Jérémy s’en souvient bien : « En quittant Douarnenez, il y avait un peu de vent, mais une mer assez calme. Dans le Raz de Sein, ce n’était plus du tout pareil, le pont était totalement impraticable… »
Cette expérience n’altère en rien son attirance pour la mer, il décide d’être marin et s’oriente vers la mécanique à laquelle son grand-père l’a initié. Il intègre le lycée Maritime d’Etel pour devenir officier mécanicien. Il se rappelle l’émotion suscitée chez ses grands-parents à l’annonce de son choix professionnel : le grand-père ravi et la grand-mère plus réservée, après toute une vie de femme de marin puis de sauveteur en mer.
Equipier SNSM
Et tant qu’à reprendre les bottes de François, Jérémy ne pouvait pas non plus échapper à cette destinée de sauveteur. En septembre 2008, il rencontre un nageur-sauveteur de la SNSM à la Journée de la Sécurité Intérieure, à Lorient. Dès le lendemain, il a rendez-vous avec le Patron et le mécanicien de la vedette. « A mon grand étonnement » dit-il « ils étaient intéressés par ma candidature. » Le week-end suivant, il était embarqué pour tester ses compétences puis commençait sa formation.
Aujourd’hui, il est mécanicien sur la vedette de la station du Pays de Lorient et équipier du semi-rigide du CFI, s’occupant également de l’entretien de la vedette du Centre de Formation. Une passion à laquelle il consacre une grande partie de ses week-ends, en attendant un embarquement qu’il souhaite « au commerce ou à l’off-shore ».