20 octobre 1937. Acculés à la côte asturienne par les troupes nationalistes du général Franco, cent vingt fuyards, principalement des miliciens républicains accompagnés de quelques femmes et enfants, « empruntent » dans le port d’Avilés le Huerta, un chalutier de 20 mètres pour 30 tonneaux, après en avoir déposé le patron.
S’échappant sous la canonnade franquiste, ils naviguent tous feux éteints vers le nord pendant trois jours sous le commandement d’un ancien légionnaire français. Transis de froid et affamés, ballottés dans la tempête qui se lève dans la nuit du 22 au 23 octobre, ils doivent mettre à la cape dans une mer déchaînée. Effrayés par deux coups de canon émis par le sémaphore de Penmarc’h, ils ignorent que leur périple les a amenés sur la côte du Pays bigouden.
23 octobre, 6 h 15. Guillou, le maître guetteur du sémaphore de Penmarc’h, distingue à trois milles WNW la silhouette imprécise d’un petit chalutier tenant la cape sans aucun feu. Il envoie aussitôt un pêcheur prévenir Thomas Stéphan, patron du canot de sauvetage Léon Dufour, qui rassemble immédiatement son équipage*** et se tient prêt à appareiller. Voyant avec stupéfaction le chalutier mettre le cul à la lame et le cap droit sur le sémaphore afin de faire côte, il fait hisser le drapeau noir à la corne du sémaphore et tirer deux coups de canon pour alarmer les cinq stations de sauvetage qui s’échelonnent sur 15 kilomètres de côte dangereuse. Puis, estimant que les secours de ces stations seront tardifs, il prie les pêcheurs locaux de tenter l’impossible pour armer leurs pinasses. Car il y a tant de vies humaines à sauver que le canot de sauvetage de Saint-Pierre Penmarc’h serait débordé.
6 h 55. La pinasse Saint-Thomas, du patron Thomas Lucas, et le canot Léon Dufour appareillent en même temps, suivis de la grande plate Cassiopée, du patron Michel Bougeon. Après avoir franchi miraculeusement la ligne des brisants, le Huerta est venu s’échouer à 100 mètres dans le nord-ouest du sémaphore, se stabilisant assez vite sur des rochers plats.
La pinasse l’accoste et embarque précipitamment vingt-cinq personnes, principalement des femmes et des enfants, mais doit se retirer immédiatement, tout son bordage tribord défoncé et son étrave arrachée. Le Léon Dufour accoste aussitôt et sauve quarante et une personnes en deux dangereuses tournées d’une manoeuvre remarquable. Puis, la grande plate qui tient bien la mer sauve cinquante-quatre hommes en quatre tournées.
Les naufragés sont groupés à l’hôtel d’Eckmühl où ils reçoivent les soins que nécessite leur état. La population de Penmarc’h accueille favorablement ces malheureux épuisés, chacun apportant vivres et vêtements. Une fois repus, réchauffés et recensés, les Espagnols remercient leurs sauveteurs avec des larmes dans les yeux. Les autorités civiles et militaires se chargent de désarmer les soldats, et après les avoir soignés, les dirigent dans l’après-midi sur la colonie de Poulgoazec, tandis que les blessés sont évacués sur l’hôpital de Quimper.
En soirée, les pêcheurs effectuent le sauvetage du chalutier Huerta qu’ils conduisent au Guilvinec. Les sauveteurs ont eu une conduite admirable, d’autant plus qu’au moment où, sans hésiter, ils ont pris la mer, ils couraient les mêmes risques qu’en 1925. Douze ans plus tôt, le 23 mai, les canots de sauvetage de Kérity et de Saint-Pierre-Penmarc’h étaient renversés par une même lame, en allant sauver deux barques échouées, et perdaient quinze des leurs.
* Le Léon Dufour est un canot en bois non redressable de 9,80 ms, à dix avirons, construit en 1912 par les chantiers Augustin Normand au Havre. Il a été financé par un don de madame Léon Dufour, veuve de l’ancien notaire de la Société de sauvetage. Victime le 23 mai 1925 d’un grave accident au cours duquel il perd quatre canotiers, il est réparé au Havre puis retourne à Saint-Pierre-Penmarc’h jusqu’à la fermeture de la station en 1944, avant d’être vendu en 1949.
** À l’époque, il y avait trois stations : Saint-Pierre-Penmarc’h, Kérity-Penmarc’h, et Saint-Guénolé-Penmarc’h. La station de Saint-Pierre-Penmarc’h est créée en 1901 par la Société centrale de sauvetage des naufragés, ancêtre de la SNSM, trente-trois ans après celle de Kérity et douze ans après celle de Saint-Guénolé. Elle reçoit deux canots, le Papa Poydenot puis le Léon Dufour qui réalisent quarante-cinq sorties de sauvetage entre octobre 1901 et octobre 1944. La station ferme en 1944, suivi par celle de Kérity. Seule, la station de Saint-Guénolé-Penmarc’h opère encore aujourd’hui avec son canot tous temps de 17,60 m, le SNS 083 Prince d’Eckmühl.
*** Pour cette sortie, le patron Thomas Stéphan n’a pu réunir que huit hommes de son équipage que complètent trois volontaires, Pierre Le Pape, Pierre Daoulas et Paul Fontaine.
Article rédigé par Patrice Brault paru dans le magazine Sauvetage n°153 (3ème trimestre 2020).