Projet éoliens en mer en développement sur les façades maritimes françaises.
À l’échelle nationale, l’association, qui fonctionne en majorité grâce aux dons et a besoin de financer le renouvellement des bateaux et la formation de ses bénévoles, accueillera avec satisfaction sa part d’une taxe sur la production des éoliennes, qui a été fléchée vers la SNSM par le législateur. Les sauveteurs sont neutres, mais tenus de s’adapter à la réalité. Il y a dix ans, nous avions titré un premier dossier « Préparons-nous à l’arrivée des éoliennes ». Aujourd’hui, elles sont là. Et elles vont être de plus en plus présentes, en Méditerranée comme en Manche et en Atlantique (voir carte ci-dessus). Après les premiers parcs posés sur le fond de la mer, les parcs éoliens flottants vont s’installer plus loin au large, soulevant de nouvelles questions.
Qui aura le droit de naviguer dans le parc ?
La navigation est interdite dans les zones en travaux pendant la construction d’un parc éolien. À Saint-Nazaire, EDF a employé jusqu’à quatre bateaux pour écarter curieux et distraits. Ils n’ont pas le pouvoir de police, mais peuvent signaler les récalcitrants à la direction générale des Affaires maritimes. Des précautions rendues nécessaires par l’important trafic dans le secteur. « Il y a eu jusqu’à vingt-deux navires et six cents personnes sur le chantier », souligne Olivier de La Laurencie, directeur du projet éolien en mer de Saint-Nazaire. Et pas des petits bateaux. À Saint-Nazaire, on se souvient du Vole au vent, long de 140 m, capable d’emporter d’un coup les composants de quatre éoliennes. Certains de ces navires, dépassant les 80 mètres, logent aussi les techniciens à leur bord pendant plusieurs jours. L’exploitant a essayé de minimiser la gêne en ne fermant pas tout le champ en même temps. Des chenaux de traversée ont été utilisables par les pêcheurs professionnels et, bien sûr, par les Sauveteurs en Mer lorsque cela a été nécessaire. Il n’y a heureusement pas eu d’accident grave pendant le chantier, étape réputée comme étant la plus à risques.
En phase d’exploitation, il y aura moins de travailleurs et donc moins de contrôles, alors que la navigation sera ouverte à certaines embarcations. D’autres pays l’interdisent complètement : Belgique, Allemagne, Pays-Bas. « La France autorise la navigation de certains navires parce que les éoliennes sont plus espacées, de 1 000 mètres minimum », explique Melaine Loarer, chef du bureau sauvetage et navigation maritime à la préfecture maritime de l’Atlantique. « La préfecture maritime de l’Atlantique a beaucoup écouté, notamment dans le cadre des grandes commissions nautiques locales auxquelles participaient toutes les parties prenantes, dont des représentants des stations locales de sauvetage en mer. Mais, in fine, c’est elle qui décide. » Un champ d’éoliennes n’est pas un espace maritime privé. L’autorité du préfet maritime, des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) et de la direction des Affaires maritimes s’y exercent comme ailleurs, encadrées par trois circulaires émanant de cette dernière. Dans le parc de Saint-Nazaire, auront le droit de naviguer les navires de moins de 25 m, de pêche et de plaisance, essentiellement, en ne s’approchant pas à moins de 50 mètres des mâts. En revanche, les loisirs nautiques, comme le kitesurf ou la planche à voile, y seront interdits. Kayaks et Jet-Skis® sont écartés de fait, car le site se situe trop loin de la côte par rapport à leurs limites réglementaires. La plongée individuelle sera interdite, mais des clubs pourront bénéficier d’autorisations.
Une partie des interlocuteurs consultés en construsant ce dossier se disent inquiets du nombre de curieux, plus ou moins autorisés, que risque d’attirer ce nouveau paysage maritime. Trois croisières organisées l’été dernier pour l’apercevoir étaient complètes. En cas de problème grave sur un tel navire, évacuer des dizaines de personnes au milieu des mâts deviendrait un cauchemar pour les sauveteurs. Olivier de La Laurencie se veut rassurant : le chantier a enregistré beaucoup moins de tentatives de visites en 2022 qu’en 2021. De plus, les sémaphores devraient pouvoir repérer les visiteurs mal identifiés grâce à deux radars installés sur le champ pour compenser l’impact négatif des éoliennes sur les radars terrestres existants. Des caméras haute définition positionnées sur la sous-station électrique seront aussi accessibles aux CROSS. Cet automne, on envisageait de mettre en place des routes permettant de bien voir le parc, sans pour autant le traverser. Côté plaisance, le système d’identification automatique (AIS en anglais) devrait être rendu obligatoire pour traverser le champ d’éoliennes. Cet équipement électronique, utilisant les ondes VHF pour échanger les positions GPS entre bateaux, sert à voir sur un écran les navires autour de soi, leur position, leur route, leur identité et, si on est équipé d’un émetteur, d’être vu de la même manière. Nombre de plaisanciers ne possèdent pas encore ce matériel (coûtant 500 € au minimum) et risquent de ronchonner. Du côté des professionnels, exploitants et pêcheurs y semblent favorables, notamment en cas de mauvaise visibilité, les radars des bateaux risquant d’être perturbés par les éoliennes.
Gros bateaux, gros ennuis ?
Du milieu du champ, par temps clair, on voit très distinctement cinq à dix grandes coques de cargos immobiles. C’est la zone d’attente pour les navires qui vont vers Saint-Nazaire et Nantes. L’estuaire de la Loire a reçu, par exemple, avant la guerre en Ukraine, des méthaniers de 300 m de long venant de Sibérie. Officiellement, aucune inquiétude, chez les pilotes notamment. À la préfecture maritime, Melaine Loarer indique que le chenal autorisé passe à plus de 2 milles nautiques (plus de 3,5 kilomètres), ce qui est considéré comme une bonne distance de sécurité dans le monde entier. L’emplacement des éoliennes et de la zone d’attente ont été définis en tenant compte des coups de vent, qui viennent le plus souvent du sud-ouest.
Les avaries de propulsion ou de barre existent sur les mastodontes des mers, y compris par gros temps. Cela a eu lieu au mois de janvier aux Pays-Bas, où certaines éoliennes sont également proches des chenaux d’accès de grands ports. Le Julietta D., un vraquier 190 m, a percuté une éolienne après avoir rompu son mouillage. Les autorités locales estiment à quatre-vingts les cargos dérivant en mer du Nord chaque année. Des solutions sont à l’étude, notamment des chaînes installées au fond de l’eau à l’extérieur du champ, qui stopperaient un cargo dont le mouillage déraperait sur le fond sans crocher. Voire des filets pour intercepter un navire hors de contrôle. La préfecture maritime de l’Atlantique dispose aussi d’un puissant remorqueur de haute mer basé à Brest, ainsi que d’un accord-cadre avec les remorqueurs portuaires de Saint-Nazaire, qui pourraient intervenir pour freiner la dérive d’un cargo.