Patrick Pouyanné, vous êtes à la tête du premier groupe industriel français avec près de cent mille collaborateurs, dans cent trente pays. Que représente, pour vous et ces collaborateurs, votre engagement auprès des Sauveteurs en Mer ?
Patrick Pouyanné : La SNSM est avant tout pour moi un modèle de solidarité unique : des femmes et des hommes qui font preuve d’un dévouement hors du commun en portant bénévolement assistance. C’est un engagement exemplaire, et nous sommes fiers de soutenir la SNSM depuis maintenant dix ans. La force de la solidarité est en effet une des cinq valeurs du groupe.
Ce partenariat est né de la volonté de renforcer notre ancrage local et notre dialogue avec les gens de mer. La mer et le littoral accueillent bon nombre de nos implantations et j’estime que nous avons une responsabilité vis-à-vis de ces territoires. Nous voulons contribuer à leur développement, par nos activités comme par des actions d’intérêt général. Pendant ces dix années, nous avons construit ensemble les modalités concrètes de ce partenariat. Si l’histoire continue, c’est parce qu’elle nous enrichit mutuellement et que nous partageons des valeurs fortes telles que la solidarité, la sécurité, le goût de la performance.
La SNSM est avant tout pour moi un modèle de solidarité unique : des femmes et des hommes qui font preuve d’un dévouement hors du commun.
La sécurité est notre valeur phare et nous savons bien, comme vous, qu’elle est l’affaire de chaque instant. Nous avons développé une expertise en matière de sauvegarde des personnes, en particulier en mer puisqu’une part importante de notre personnel y est exposée. Il est donc naturel de nous engager pour contribuer à réduire le nombre de blessés et de morts sur la mer. Nous avons aussi en commun le goût de la performance. Nous savons que la passion du métier ne permet ni approximation ni amateurisme, qu’elle doit donc se doubler de l’excellence.
Tout au long de ces dix années, vous avez aidé la SNSM à relever ses défis en matière de formation, d’entretien et de renouvellement de la flotte. Quelles inflexions souhaitez-vous apporter à votre participation pour les trois prochaines années ?
P.P. : Un anniversaire, c’est toujours l’occasion de faire le bilan ! Celui de notre partenariat est riche. La modernisation des équipements a eu un effet boule de neige sur la professionnalisation et l’organisation de la SNSM. L’harmonisation des équipements a entraîné une harmonisation des formations et des pratiques là où, auparavant, il y avait une juxtaposition de centres autonomes. Notre accompagnement s’est aussi traduit par des transferts de savoir-faire : gestion financière, suivi des bénévoles, meilleure visibilité… Aujourd’hui, la SNSM est arrivée à une nouvelle maturité. Il convient donc de donner un nouvel élan à notre partenariat, d’autant que le contexte a évolué.
Aujourd’hui, la plaisance et les loisirs nautiques génèrent l’essentiel des interventions, alors que les sorties pour la pêche et le commerce ont diminué. Les exigences sont aussi de plus en plus fortes en matière de responsabilité pénale.
L’enjeu pour nous est de continuer à épauler la SNSM sur la voie de la professionnalisation, tout en l’aidant à conserver ce qui fait sa force : la solidarité. Or, l’engagement des jeunes est une des conditions de la pérennité du bénévolat. Chaque année, cinq cents nouveaux sauveteurs doivent être formés, alors même que les nouvelles recrues sont de plus en plus éloignées du monde de la mer et de ses valeurs. La formation des jeunes sauveteurs sera donc une priorité de notre mécénat.
Cela rejoint par ailleurs l’un des fils directeurs de la Fondation Total : l’action en faveur de la jeunesse. La SNSM contribue à donner aux jeunes le sens es responsabilités et de l’engagement itoyen. Au-delà des aspects techniques exigeants, ces formations leur transmettent des qualités d’altruisme et de travail en équipe et les orientent souvent vers des métiers de fort engagement : sécurité, pompiers, marine…
Au-delà de votre soutien aux jeunes et à la formation, quelle place accordez-vous à l’innovation ?
P.P. : L’innovation va avec l’esprit pionnier de Total, et nous savons qu’il est primordial de la mettre au service de la sécurité. C’est pourquoi nous avons contribué au développement d’équipements de pointe. Équiper les Sauveteurs en Mer pour faire face aux conditions les plus sévères, c’est avant tout mieux les protéger dans l’accomplissement de leur mission. Les nouveaux matériaux et les nouvelles technologies (comme la géolocalisation) permettent aussi de gagner en rapidité d’intervention et en efficacité et donc, in fine, de sauver davantage de vies.
La capacité d’innovation de la SNSM est l’une de ses forces et il convient de la valoriser. Les innovations de la SNSM peuvent en effet bénéficier à d’autres structures de service public. Les marins-pompiers sont par exemple très preneurs du nouveau sac médical étanche qui permet une intervention immédiate. Le secteur privé peut aussi
être intéressé. Nos plateformes en Angola souhaitent d’ailleurs tester certaines de ces innovations.
Au moment où la SNSM est soucieuse de conforter son modèle associatif, quels messages souhaitez-vous adresser aux bénévoles ?
P.P. : J’ai une profonde admiration pour le courage et l’investissement des bénévoles, et la SNSM est un modèle d’engagement qu’il faut préserver. Nous souhaitons rester à leurs côtés pour les aider à poursuivre leur mission.
Le financement du modèle est évidemment le nerf de la guerre. Total n’est qu’un partenaire, et les autres contributions sont nécessaires. Mais réfléchissons aussi à des sources de financement complémentaires : faire reconnaître la SNSM comme centre de formation professionnelle et continue, mieux valoriser les équipements innovants.
Il me paraît aussi important que les premiers bénéficiaires de la SNSM – les plaisanciers – s’engagent. De ce point de vue, nous pouvons sans doute aider la SNSM à se faire mieux connaître, par exemple en renforçant sa promotion dans certaines stations-service, en vendant des produits dérivés, ou en incitant au don. Cela permettrait en outre de sensibiliser nos clients en route pour les vacances d’été.
Interview parue dans Sauvetage n°143 1er trimestre 2018