Île de Ré : le récit haletant du sauvetage d'un pêcheur naufragé en pleine tempête

Les sauve­teurs de l’île de Ré (Charente-Mari­time) ont été réveillés en pleine nuit pour secou­rir un pêcheur dans une situa­tion critique. Un récit poignant de Denis Chatin, président de la station, qui a recueilli les témoi­gnages des équi­piers présents sur la SNS 458 Île de Ré I ce jour-là.

En pleine nuit dans la baie de l'Aiguillon, qui joue des tours aux meilleurs, l'équipage de la SNS 458 a dû redoubler de vigilance

L’avis de grand frais annoncé l’après-midi est devenu réalité en ce 22 février. Un vent de près de 60 km/h lève des vagues de 5 mètres sur l’océan. Dans ces condi­tions, les bateaux sont au port. Il est peu probable que la nuit soit inter­rom­pue par une alerte en mer. Pour­tant, à 4 h 42, le CROSS (centre régio­nal opéra­tion­nel de surveillance et de sauve­tage) Étel engage les béné­voles endor­mis de la station de sauve­tage de l’île de Ré pour porter secours à un pêcheur, dans la baie de l’Ai­guillon.

Pour nous, Sauve­teurs en Mer, c’est au moment où l’on s’y attend le moins qu’il faut dare-dare réveiller tous nos sens. Vu les condi­tions météo, il va falloir être bien dans les clous pour sauver un homme sans rien abîmer, à commen­cer par nous. Ne pas râler, ne pas juger, ne pas s’of­fusquer qu’un marin ait pu défier les éléments. Alors que tout le monde est au lit, ce jeune homme plein d’ar­deur est parti au boulot.

En silence, chacun s’ins­talle à son poste 

4 h 42, c’est pas sympa comme horaire pour mettre le cerveau en branle, enfi­ler le slip à l’en­droit, éviter de se cogner les orteils dans un pied de lit en partant dans le noir en silence pour n’inquié­ter personne et, le ventre vide, rejoindre le port en hâte. 

Le pêcheur en détresse nous attend là-bas, en mer. Il espère que l’on va arri­ver et, nous, on sait qu’il ne faut pas traî­ner. La première indi­ca­tion qui nous a été trans­mise est : « Navire retourné dans l’anse de l’Ai­guillon avec personne coin­cée dans la coque. » On n’aime pas, mais alors, pas du tout. Ce scéna­rio peut débou­cher sur un drame. 

Treize minutes se sont écou­lées depuis que la sonne­rie de nos télé­phones nous a tirés des rêves. Treize minutes et les quatre équi­piers qui ont coché présent sur l’ap­pli­ca­tion d’alerte sont à bord de la SNS 458 Île de Ré I, notre vedette de sauve­tage. On a les yeux dans le beurre qu’on aurait préféré sur nos tartines, surtout avec ce qui nous attend dehors. En silence, chacun s’ins­talle à son poste, concen­tré. On allume tous les appa­reils élec­tro­niques, on prévient le CROSS de notre appa­reillage, on sort les combi­nai­sons pour les deux cano­tiers qui ont perdu à pierre-feuille-ciseaux et qui vont devoir se mettre à l’eau. Chacun se remé­more les centaines d’heures d’en­traî­ne­ment pour être certain de mener cette inter­ven­tion à bien. 

On connaît bien la baie de l’Ai­guillon. On inter­vient souvent là-bas, dans cette Vendée mari­time où le courant joue des tours aux meilleurs, où la vase empri­sonne les coques lorsque l’on néglige les sondes de marée, où les centaines de pieux de bouchots à moules invi­sibles n’at­tendent que de crever les coques des navires.

Il est 4 h 55, la SNS 458 appa­reille. La marée descend contre le vent, ça va être le cauche­mar là-bas, avec ces rafales de 65 à 80 km/h. Au bout de cinq minutes, les VHF et les GPS hurlent : la balise AIS* du marin pêcheur vient de se déclen­cher. Si elle émet un signal, c’est qu’elle a pris l’eau. Si elle a pris l’eau, c’est que l’homme aussi. Où qu’il soit, sur ou sous son bateau, on croise les doigts pour qu’il reste bien accro­ché. Dans la nuit noire, une coque est plus facile à repé­rer qu’un homme à la mer. 

Point posi­tif : le chemin vers la balise se trace immé­dia­te­ment sur notre GPS. Nous n’avions jusqu’ici qu’une posi­tion approxi­ma­tive. La mer est grosse, le vent trois-quarts arrière, c’est la fête foraine. Ça plante, ça renvoie dans les bosses, ça surfe, ça vole, on ne sait plus très bien sur quel type d’en­gin nous avons pris place. Mais on avance dans le bon sens et vers l’es­poir. Encore vingt minutes de navi­ga­tion et nous serons sur zone. 

Les pièges sortent de l’eau 

Les yeux vissés sur le radar, l’oreille collée à la VHF pour commu­niquer avec le CROSS, nous progres­sons et entrons dans la baie. Le courant l’a déjà bien vidée, les pièges commencent à sortir leurs oreilles de l’eau. Nous action­nons tous les projec­teurs de recherche pour les éviter et repé­rer le navire de pêche ou son patron. 

Soudain, à 300 mètres envi­ron, une forme qui ne ressemble pas à des pieux de bouchots. Nous diri­geons tous les projec­teurs dans la même direc­tion et aper­ce­vons le marin nous faisant de grands signes. Il est à cali­four­chon sur la coque de son bateau retourné. Parve­nir à se hisser sur une coque à la force de ses bras, dans une mer démon­tée, quel exploit !
Les vagues sont puis­santes. Avant d’en­voyer les nageurs à l’eau, au risque de percu­ter le navire, nous tentons un abor­dage. Si le naufragé est en forme et ne glisse pas, nous pour­rons l’agrip­per et le hisser à notre bord par la plage avant. Notre première tenta­tive réus­sit : on sent que le gaillard n’a pas envie de se remouiller le poil.

Nous infor­mons immé­dia­te­ment le CROSS que nous l’avons récu­péré. Tandis que certains se chargent de trans­mettre la posi­tion du navire, les autres s’oc­cupent du pêcheur, le mettent au sec et dressent un premier bilan médi­cal.

Le retour est un véri­table cauche­mar 

Les pompiers, qui ont été enga­gés en même temps que nous, sont à terre, au port du Pavé, à l’en­trée de la rivière de Marans. Le CROSS nous demande de les rejoindre pour leur confier le marin pêcheur. Nous mettrons vingt-deux minutes pour atteindre le port du Pavé, à contre­cou­rant et en évitant les pièges, de plus en plus présents dans la mer descen­dante.

Nous confions l’homme aux pompiers et repar­tons vers l’épave de son bateau pour la bali­ser. Nous la recher­chons jusqu’à 6 h 15, sans succès, avant de devoir quit­ter la baie, car la marée descend et nous n’avons presque plus d’eau sous la quille. Peut-être a-t-elle coulé ? Le retour est un véri­table cauche­mar. Le vent est de plus en plus fort et, cette fois, nous l’avons de face. Nous avançons à 5 nœuds pour sortir de la baie. Il y a des trous partout, la mer est pleine de creux. Impos­sible d’ac­cé­lé­rer sans risquer le salto. Cram­pon­nés aux mains courantes de la cabine, nous navi­guons quarante minutes dans ces condi­tions dantesques, enchaî­nant des montées fracas­santes et des descentes verti­gi­neuses.

Ce n’est pas grave. Nous savons désor­mais qu’une famille est heureuse de retrou­ver leur fils, leur frère ou leur père sain et sauf, et ça nous remplit de joie. L’an­née dernière, sur les quatre-vingt-six sauve­tages effec­tués, nous sommes inter­ve­nus sept fois pour des personnes ayant chuté de leur navire. Deux d’entre elles ont perdu la vie.
Ce marin pêcheur a eu plus de chance. Son équi­pe­ment l’a peut-être sauvé : sans la balise AIS qui nous a menés droit sur lui, peut-être que nous ne l’au­rions pas retrouvé à temps. Son gilet de sauve­tage l’a aussi porté et permis de ne pas stres­ser dans l’eau.

Il est 7 h 13, nous arri­vons au port de Saint-Martin-de-Ré assez tôt pour partir au boulot. Nous avons aussi tenu la promesse faite à l’un des équi­piers : rentrer à temps pour un rendez-vous avec sa compagne, avec qui il doit se pacser ce matin-là.

*Balise AIS : une fois acti­vée, cette balise envoie, à inter­valles régu­liers, des messages AIS de détresse, avec l’heure, la posi­tion, le cap et la vitesse du naufragé, qui seront reçus et trans­mis par toutes les VHF ASN présentes dans la zone de l’ac­ci­dent.

Nos sauve­­teurs sont formés et entraî­­nés pour effec­­tuer ce type de sauve­­tage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !

 

Équipage engagé

Vedette légère
SNS 458 ÎLE DE RÉ I

Patron : Hugo Bressy 

Équi­piers : Jona­than Denoual, Nico­las Maillet, Benoit Rivas­seau

Article rédigé par Denis Chatin