Interview. Comment est assurée la sécurité des skippers du Vendée Globe ?

Quarante skip­pers s’élan­ce­ront le 10 novembre pour cette course en soli­taire sans escale et sans assis­tance de 45 000 kilo­mètres autour du Globe. Ces condi­tions extrêmes imposent des forma­tions parti­cu­lières en matière de sécu­rité. Entre­tien avec Hubert Lemon­nier, nouveau direc­teur de course du Vendée Globe.

Hubert Lemonnier est directeur de course du Vendée Globe pour la première fois en 2024. © Tom Dufour

On le surnomme « l’Eve­rest de la voile ». Le Vendée Globe partira le 10 novembre des Sables-d’Olonne. Les voiliers descen­dront plein sud dans l’At­lan­tique pour les mers les plus inhos­pi­ta­lières du monde, au sud de l’Afrique, de l’Aus­tra­lie et de l’Amé­rique du Sud, là où aucune terre n’in­ter­rompt le mouve­ment des vagues ni ne ralen­tit les vents. Ils feront le tour de l’An­tarc­tique au-dessus de la limite des glaces, avant de remon­ter l’At­lan­tique en direc­tion des Sables-d’Olonne. Record à battre, établi en 2016–2017 : 74 jours !

Vous connais­sez bien le Vendée Globe pour avoir secondé les direc­teurs de course des trois dernières éditions. La diffi­culté n’est-elle pas d’évi­ter la routine, d’être toujours en éveil ?

Hubert Lemon­nier : La diffi­culté, c’est de ne pas perdre de vue que la direc­tion de course est d’abord là pour la sécu­rité, la tech­no­lo­gie et le sport, en veillant au respect des règles et en prépa­rant de bonnes condi­tions de course. Le succès de l’épreuve – dont c’est la dixième édition – amène beau­coup de monde à se joindre aux diffé­rentes équipes et cela devient très complexe à orga­ni­ser !

Les concur­rents sont très expé­ri­men­tés, mais seuls et loin de tout sur des mers répu­tées les plus diffi­ciles du globe. Comment la sécu­rité est-elle orga­ni­sée ?

C’est le gros sujet. Les concur­rents entre eux sont notre première source d’aide puisqu’ils se suivent. Il y a des écarts, mais ils vont dans la même direc­tion. Quelqu’un de plus ou moins proche peut donc venir aider un concur­rent, sauf s’il est le dernier et vrai­ment loin.

En amont, un gros travail de prépa­ra­tion est effec­tué avec les skip­pers et la classe Imoca [ndlr : classe qui défi­nit les carac­té­ris­tiques des mono­coques conçus avant tout pour le Vendée Globe] afin de veiller à ce que les skip­pers et leurs bateaux soient au bon niveau de prépa­ra­tion. C’est pour cela qu’il y a des courses quali­fi­ca­tives, obli­ga­toires pour être sélec­tionné.

Comment les skip­pers sont-ils formés ?

On les fait beau­coup, beau­coup navi­guer et, à chaque navi­ga­tion, on les contrôle sur la prépa­ra­tion de leur bateau. On orga­nise aussi un stage Imoca, spécial Vendée Globe, obli­ga­toire pour les skip­pers qui n’y ont jamais parti­cipé, où l’on traite les prin­ci­paux sujets de sécu­rité et où on les teste pour véri­fier que chacun connaît son maté­riel, sait l’en­tre­te­nir et s’en servir.

Nous complé­tons aussi leur forma­tion sur le Règle­ment inter­na­tio­nal pour préve­nir les abor­dages en mer – Ripam –, à appliquer quand ils croisent un cargo, ainsi que sur la manière dont leurs comman­dants réagissent.

Vous appuyez-vous aussi sur des inter­ve­nants exté­rieurs ?

Bien entendu, les concur­rents doivent être à jour de leurs stages de survie – orga­ni­sés par la fédé­ra­tion mondiale de voile, ou World Sailing – et de forma­tion hautu­rière. Ce sont, selon les cas, des recy­clages ou des certi­fi­cats à passer. C’est consé­quent et tous les skip­pers ont l’obli­ga­tion de les suivre et de les déte­nir.

De plus, nous orga­ni­sons des brie­fings, dont celui de la Marine natio­nale, qui vient expliquer les missions Search and Rescue [ndlr : recherche et sauve­tage], leur déclen­che­ment, comment ils vont fonc­tion­ner et les sché­mas qu’ils vont appliquer selon l’ava­rie et le degré d’ur­gence. C’est super inté­res­sant, et l’échange entre les pilotes d’avions de sauve­tage et les skip­pers est très utile. Nous faisons égale­ment parler des skip­pers qui ont vécu des naufrages ou des avaries lourdes. C’est du concret, un moment riche d’en­sei­gne­ments.

Prenez-vous aussi des contacts avec les centres de coor­di­na­tion des secours mari­times – MRCC – des zones traver­sées ?

Exac­te­ment. Nous contac­tons les MRCC de toutes les zones que nous traver­sons, y compris le CROSS Gris-Nez – corres­pon­dant français auprès des MRCC étran­gers –, bien sûr, pour leur expliquer ce que nous allons faire et combien de bateaux parti­ci­pe­ront. Nous mettons à leur dispo­si­tion une fiche qui reprend toutes les infor­ma­tions sécu­rité de chaque voilier. Elles sont très complètes, avec, par exemple, toutes les balises de détresse, leurs numé­ros, mais aussi ceux des radeaux de survie, les gilets, les spéci­fi­ci­tés du bateau, des infor­ma­tions sur notre tracker – un dispo­si­tif auto­ma­tique de suivi –, s’il y a besoin de données plus à jour que celles du tracker public.

Par ailleurs, nous travaillons avec les Austra­liens, qui garan­tissent une action rapide et sûre jusqu’à une certaine distance de leurs côtes, défi­nie en fonc­tion des condi­tions météo de l’été austral. Elle est maté­ria­li­sée par une ligne, au nord de laquelle les bateaux doivent rester. Nous dispo­sons égale­ment d’un consul­tant sur la zone Austra­lie, qui, en cas de problème, est l’in­ter­mé­diaire avec les MRCC, dont il connaît la culture et la manière de procé­der.

Comment se déroulent le départ et les arri­vées aux Sables-d’Olonne ?

Un gros travail préa­lable est réalisé avec la préfec­ture mari­time, portant sur la chro­no­lo­gie du départ, qui fait quoi, l’or­ga­ni­sa­tion des bateaux, les diffé­rentes zones de sécu­ri­té… Il y a un corri­dor d’ac­cès, un zonage de sécu­rité précis à faire appliquer. De plus, des zones pour les navires à passa­gers, pour les navires de moins de 8 mètres et pour la plai­sance de manière géné­rale sont déter­mi­nées.

Bien sûr, on défi­nit aussi des sché­mas en cas de mauvais temps, de dégra­da­tion, voire de report du départ si besoin est. Ils sont travaillés en interne pour pouvoir les déclen­cher à J-8.
Égale­ment, tout un dispo­si­tif est mis en place avec les héli­co­ptères et en matière de commu­ni­ca­tion ; tout cela doit être coor­donné pour assu­rer à la fois la sécu­rité de tout le monde et un beau départ.

Il existe aussi un dispo­si­tif pour les arri­vées. Nous avons une flot­tille de semi-rigides, plus réduite que pour le départ.

Comment le poste de comman­de­ment – ou PC course –, chargé de suivre les candi­dats en perma­nence, fonc­tionne-t-il ?

Jusqu’à main­te­nant, nous étions quatre à la direc­tion de course ; mais, cette année, nous serons cinq, avec une présence 24 heures sur 24 et toujours deux durant la jour­née. Nous allons fonc­tion­ner avec des quarts qui se chevauchent de près d’une heure pour faire une trans­mis­sion d’in­for­ma­tions, le suivi, la passa­tion. Les autres se reposent et nous faisons les trois-huit. Il y a un logbook – ou jour­nal de bord –, qui centra­lise le suivi de ce qu’il s’est passé, mais l’in­ter­ac­tion entre deux personnes est impor­tante, sinon, il n’y a pas de lien.

 

Les skip­pers du Vendée Globe doivent parti­ci­per à plusieurs forma­tions afin d’as­su­rer leur sécu­rité en mer. © Bernard Le Bars / Alea

Propos recueillis par Domi­nique Malé­cot.