Au cours de votre carrière, avez-vous déjà été traitée différemment parce que vous êtes une femme ?
Oui, avant même que je fasse de la course au large, dans les milieux de la croisière et du yachting. Une femme jeune et peu expérimentée dans le monde des skippers, c’est inenvisageable. Contrairement à un homme. J’ai fait du porte-à-porte pour rencontrer des propriétaires de bateaux et ils m’ont ri au nez. Je manquais d’expérience, mais j’ai vraiment senti que je n’étais pas du tout au bon endroit. À l’époque, je venais de passer mon brevet de skipper. Je cherchais du travail, j’ai effectué différentes missions jusqu’à de la maintenance sur des chantiers navals. J’ai aussi été embauchée pour faire du ménage, alors que j’étais skippeuse professionnelle ! Je travaillais sur un yacht, entourée d’une trentaine d’hommes. Les trois seules femmes employées s’occupaient du ménage !
Donc dès le début de ma carrière, j’ai été confrontée au sexisme. Je me suis positionnée en réaction face à cette situation. Cela m’a demandé beaucoup d’énergie, mais m’a donné la volonté de montrer que j’étais aussi compétente que des hommes. Je me suis beaucoup battue pour avoir ma place. Cela n’a pas été facile et, si je n’avais pas cette personnalité, cela aurait été impossible. Depuis vingt ans que je pratique de la course, aujourd’hui, mon combat est d’arriver à avoir du poids et à me valoriser à l’égale des hommes, sans en faire plus.
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans le milieu de la voile sportive ?
Dans notre société, nous sommes éduquées à ne pas marcher sur les plates-bandes des hommes, à ne pas oser beaucoup de choses. J’ai été sportive toute mon enfance, mais je n’ai jamais fait de compétition. Une fille qui veut faire de la compétition doit le demander, alors que, pour un garçon, c’est presque imposé. Nous, les femmes, quand nous nous retrouvons dans des milieux uniquement masculins, nous voulons prouver que cela vaut la peine que nous soyons là. C’est la voie la plus facile pour faire sa place et être acceptée.
Pourtant, les résultats féminins dans les courses au large sont proportionnellement excellents par rapport à ceux des hommes. À l’arrivée de Retour à La Base1, nous étions cinq femmes, dont quatre dans le top 12. Pourquoi ? Parce que si elles ne sont pas sûres d’avoir les armes pour réussir, elles ne se lancent pas. Notre milieu est plus facile pour les hommes que pour les femmes, et ce dès l’entrée en compétition.
Que faire pour que la situation change ?
Des choses ont déjà été mises en place pour que ça évolue. Par exemple, la Volvo Ocean Race2 a quasiment imposé la mixité sur les tours du monde en équipage. Une règle a été créée, qui permet à l’équipage d’être plus nombreux si des femmes sont à bord. L’effet a été très positif : plein de femmes ont pu participer et acquérir de l’expérience pour être embauchées sur d’autres courses. Dans la même idée, la Transat Paprec3 se court en double et, aujourd’hui, la mixité est obligatoire. Des femmes ont ainsi connu la Classe Figaro4, découvert ce support et gagné en expérience pour devenir ensuite compétitrices. Même si nous sommes encore très loin de la parité dans le milieu de la voile.
Vous montrez par l’exemple que votre genre n’est pas un obstacle dans votre carrière. Avez-vous la volonté d’inspirer d’autres femmes à travers ces exploits personnels ?
Oui, en effet. Je pense que toutes les femmes qui font carrière dans la voile doivent servir d’exemples, car nous ne sommes pas assez nombreuses. Quand j’étais jeune, je n’avais pas forcément de modèle féminin ; à l’époque, nous parlions de Florence Arthaud, mais c’est tout. C’est un réel manque pour donner envie de se lancer dans ces carrières.