Il n’y avait pas eu de ministre de la Mer au Gouvernement depuis trente ans. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les missions de votre ministère et votre rôle ?
Annick Girardin : Le ministère de la Mer, c’est d’abord le ministère des usagers de la mer. Je ne pense pas seulement aux quelque huit millions de Français qui vivent sur le littoral, je pense à toutes celles et ceux qui vivent avec la mer, que ce soit pour leur activité professionnelle, leur loisir, leur plaisir.
C’est aussi le ministère de la planification maritime. Mettre en place des projets sur nos mers et nos océans, cela prend du temps, cela demande de la concertation. Sur le sujet des éoliennes en mer, par exemple, nous avons calculé qu’en faisant les bons choix aujourd’hui, nous pourrions parvenir à alimenter 25 % de la France en électricité grâce à cette source d’énergie d’ici 2050.
En tant que ministre de la Mer, je dénombre trois défis principaux.
D’abord, et c’est sans doute le plus important : parvenir à répondre au défi du siècle, le défi environnemental. Avec onze millions de km² de domaine maritime et près de 10 % de la diversité mondiale des espèces marines en France, notre responsabilité est énorme.
Deuxième défi, il s’agit de traiter les enjeux économiques et sociaux. Il n’y a pas de sécurité sans une économie saine ! Et l’économie maritime française, c’est près de 400 000 emplois. Depuis le début de la crise sanitaire, nombreux sont ceux à travailler dans des conditions parfois très difficiles pour nous permettre de continuer à mener une vie normale, pour éviter les manques d’approvisionnement, pour assurer la protection de nos eaux et les navigations au long cours, les transports ou l’activité de pêche. C’est aussi à eux que je pense alors que nous déployons notre politique maritime. Je n’oublie évidemment pas mon attachement à la jeunesse : les formations à tous les métiers de la mer sont d’excellente qualité en France, il faut inciter plus de jeunes à se lancer dans ce beau milieu !
Troisième défi, la France doit rayonner grâce à sa politique maritime. La France dispose de frontières maritimes avec vingt-huit pays. La France des trois océans, cela recouvre une réalité géopolitique riche et complexe. La France, grâce à ses territoires d’outre-mer, possède en superficie la deuxième zone économique exclusive (ZEE) mondiale. La France, c’est trente départements littoraux – outre-mer compris –, 7 000 kilomètres de côtes et littoraux qui comptent huit millions d’habitants, nous devons mieux les protéger et les valoriser. C’est d’ailleurs ce que je souhaite faire en réaménageant et restaurant le sentier du littoral dans le cadre du plan de relance.
Je souhaite que l’on redonne la possibilité aux Français de revenir sur ces sentiers qui font le tour du littoral français.
Quel regard portez-vous sur la SNSM, association de bénévoles assurant une mission de service public de sauvetage des vies humaines – en mer et sur le littoral – et de sécurité civile ?
A.G. : Vous savez, je suis une fille de la mer. J’ai grandi avec les deux pieds dans l’eau salée. Je suis née à Saint-Malo, une ville de corsaires, j’ai passé la plus grande partie de ma vie à Saint-Pierre-et-Miquelon, un territoire réputé pour sa pêche à la morue. Parce que je connais la mer et ses dangers, je connais également le code d’honneur des gens de mer : lorsqu’une personne est à l’eau, peu importe les conditions, peu importe les circonstances, on met tout en œuvre pour la sauver.
La mission essentielle de la SNSM – à savoir secourir bénévolement et gratuitement les vies humaines en mer – est la mise en œuvre la plus concrète qui soit de ce code d’honneur.
Pour cette raison, j’essaye, depuis ma prise de fonction et à chacun de mes déplacements, d’aller à la rencontre des professionnels qui agissent au large des côtes françaises. Mon souhait, ce serait de pouvoir visiter chacune des deux cent quatorze stations de la SNSM réparties le long du littoral hexagonal et ultramarin !
En sécurisant le public qui profite de la mer et des plages du littoral, la SNSM est un soutien au développement touristique. Qu’en pensez-vous et comment se répartissent alors les rôles entre l’État et les collectivités territoriales au regard de leur appui à la SNSM ?
A.G. : La sécurité en mer et des plages est essentielle pour nos vacanciers. La présence des sauveteurs de la SNSM dans les dispositifs de sécurisation est incontournable et contribue, bien sûr, au développement touristique.
Je rappelle que, même si les collectivités ont la responsabilité de la sécurité des plages et de la baignade dans la bande formée par les 300 premiers mètres en mer, c’est bien l’État qui est garant de la sécurité en mer. Et une grande qualité des secours est permise grâce à l’excellente coopération entre les pouvoirs publics et la SNSM.
Avec la mise au point d’une nouvelle gamme de bateaux, la SNSM rationalise sa flotte de sauvetage, pour plus d’homogénéité des modèles et d’efficience de leur entretien, dans un contexte de transfert par l’État à l’armateur des responsabilités liées à la sécurité des navires. Quel regard portez-vous sur ce projet d’uniformisation de la flotte ?
C’est une très bonne nouvelle pour la SNSM et pour l’industrie française de voir ce renouvellement.
A.G. : 50 % de la flottille ou presque avaient plus de vingt ans. Le sauvetage doit pouvoir s’organiser de manière plus harmonisée et l’unicité de cette commande était une nécessité. Le dynamique chantier de la Société Chantier Naval Couach du Bassin d’Arcachon permet la SNSM de continuer à remplir ses missions. Je crois beaucoup à cette logique de capacitaire, comme le font les armées. On part du besoin général pour résoudre des situations particulières dans différentes stations. C’est une vraie satisfaction de voir que cela est aujourd’hui possible pour la SNSM.
Le Président de la République a souligné l’importance de mieux reconnaître les qualifications des sauveteurs de la SNSM, qui exercent bénévolement une « quasi-profession ». Serez-vous bientôt, avec la Direction des affaires maritimes, en mesure de leur délivrer des équivalences avec les brevets professionnels ?
A.G. : Oui, c’est un objectif. Il faut d’abord rappeler que la formation professionnelle maritime relève de conventions internationales fixant des normes de formation à atteindre afin qu’un organisme comme la SNSM puisse réaliser des formations menant à la délivrance, par l’État, des brevets professionnels. Cela implique de nombreux contrôles par l’administration maritime, qui mène actuellement un travail pour permettre à la SNSM d’y parvenir.
Cela requiert une évaluation de ses référentiels de formation pour identifier les différences qui peuvent exister avec les référentiels de formation conformes à la convention. Et des formations complémentaires pourraient être demandées aux sauveteurs de la SNSM en vue de l’acquisition d’un titre conforme.
L’objectif est que les sauveteurs bénévoles formés par la SNSM puissent, à terme, disposer des titres leur permettant, par exemple, de candidater sur des emplois spécialisés ou des activités maritimes relevant des administrations – collectivités, établissements publics ou services de l’État –, et inversement.
Par les compétences qu’elle transmet à ses sauveteurs bénévoles, la SNSM participe de façon indirecte à la construction de parcours d’emploi dans le domaine du maritime. Qu’en pensez-vous ?
A.G. : Bien sûr ! Et je dirais même que la SNSM participe directement à la construction d’un parcours d’emploi dans le maritime pour des jeunes qui, souvent, connaissent le littoral et les loisirs nautiques mais qui n’ont pas l’occasion de ressentir cet esprit d’équipage, cette notion d’expédition maritime.
Si nous devons aussi penser la SNSM comme une opportunité pour des jeunes de s’imprégner davantage d’une culture marine, nous ne devons pour autant pas baisser la garde sur la formation des bénévoles, qui ne sont pas forcément d’anciens navigants.
Le financement direct de la SNSM par France compétences pour la formation des Sauveteurs en Mer était un enjeu majeur exprimé lors dernier Comité interministériel de la mer. Le ministère de la Mer et le ministère du Travail s’accordent-ils sur cette question ?
A.G. : France compétences ne finance pas directement les centres de formation, de la SNSM ou d’autres structures. Nous avons toutefois travaillé sur une feuille de route partenariale, que je souhaite pouvoir signer le plus rapidement possible. Cette feuille de route prévoit une meilleure reconnaissance des formations dispensées par la SNSM et la nécessité d’examiner les possibilités de financer simplement les actions de formation. C’est un enjeu important que je partage avec Élisabeth Borne.
Le plan de relance va permettre de mobiliser 650 millions d’euros pour le maritime. Quelle sera la part consacrée à la sécurité en mer, à la formation et au tourisme, autant de secteurs dans lesquels la SNSM joue un rôle important ?
A.G. : Deux mesures du plan de relance sont spécifiquement maritimes, la pêche et l’aquaculture durables et le « verdissement » des ports. Elles représentent un montant de 250 millions d’euros. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour les bons projets maritimes ! Je pense notamment à la préservation du littoral, à la recherche, au tourisme durable ou à la formation.
J’ai évoqué le projet de Sentier du littoral, destiné à soutenir les initiatives des communes dans ce domaine, qui compte beaucoup dans l’attractivité du littoral. Sur la formation, les Campus des métiers et des qualifications à composante maritime, ou le Campus des Industries Navales, ont des projets qui peuvent s’inscrire dans le volet formation du plan de relance. Enfin, pour la sécurité en mer, il est prévu de faire financer par le plan de relance la modernisation des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS), notamment de leurs systèmes de surveillance maritime et de communication.
Par ailleurs, l’État avait engagé, avant la crise sanitaire, la modernisation de sa flotte garde-côte, qui participe à la sécurité maritime, et augmenté sensiblement sa contribution aux investissements de la SNSM, ce qui a permis de lancer le programme de renouvellement de sa flotte. La crise sanitaire ne remet pas en cause ces engagements.
Interview recueillie par la rédaction du magazine Sauvetage dans le magazine Sauvetage n°154 (4ème trimestre 2020)