Réparer un bateau victime du passage d’un cyclone, la SNSM sait le faire. Réaliser de gros travaux pour en doubler la durée de vie aussi. Mais livrer un bateau neuf, elle ne s’y était pas essayée depuis treize ans. C’est pourtant ce à quoi elle se prépare en livrant à la station de Saint-Malo un nouveau canot tous temps, qui remplacera le SNS 072 Pourquoi pas ? II d’ici le printemps 2023.
Portant le matricule SNS 005, ce canot tous temps, cinquième et dernier de la série des CTT nouvelle génération de 17,80 mètres de long, était en construction au chantier Sibiril Technologies de Carantec (Finistère). En grave difficulté, ce dernier n’a pu échapper au redressement judiciaire, puis à la liquidation et à la fermeture définitive en février 2022. En son sein, la coque du futur SNS 005 à l’état brut, incapable de flotter. Mais pas question de l’abandonner ! La SNSM l’attendait depuis trop longtemps et l’avait déjà largement financé, ainsi qu’une grande partie de ses équipements.
Comment terminer ce bateau ? Poursuivre la construction sur place n’étant pas possible, décision fut prise de récupérer la coque et de l’acheminer par la mer à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), au Pôle de soutien de la flotte (PSF). Avec le service de soutien de la flotte (SSF) de la Marine nationale et la direction technique de la SNSM, il entretient et répare les canots, vedettes et semi-rigides de l’association et assure le passage en modernisation carénage – pratiquement une reconstruction partielle – des plus grosses unités de la flotte arrivées au milieu de leur carrière. Il réunit donc les compétences pour achever la construction.
Boucher des trous, installer un gouvernail, lester la coque…
Encore fallait-il rendre le SNS 005 capable de prendre la mer pour être remorqué jusqu’à Saint-Malo. La petite vingtaine de salariés du PSF se sont donc relayés pendant trois semaines sur l’ex-chantier Sibiril – loué par la SNSM – pour le préparer au départ. « J’étais chargé de repérer et d’inspecter tout le matériel destiné au bateau et de récupérer les archives concernant la SNSM », explique par exemple Romain Cambon, responsable logistique au sein du PSF.
D’autres ont préparé la coque et se sont occupés de la transférer sur le chariot de mise à l’eau du chantier. Il a surtout fallu en boucher les trous, avec de la résine polyester, ou monter provisoirement une partie des équipements prévus, tels qu’arbres d’hélices, gouvernails, propulseur d’étrave… Sans oublier d’ajuster de grands morceaux de contre-plaqué sur les emplacements prévus pour les vitrages, ou encore d’installer les équipements pour amarrer la coque et la remorquer.
Pour autant, le bateau n’était pas encore prêt à flotter. Vide de tout équipement et par conséquent trop léger, il aurait chaviré. Plus de deux tonnes de gueuses, en fonte, ont donc été arrimées au fond de la coque et les cuves à gasoil ont été remplies de quelques deux mille litres d’eau afin de l’alourdir suffisamment et d’assurer sa stabilité en mer. Il a aussi été équipé de deux motopompes, de matériel incendie et de feux de navigation pour parer à toute éventualité pendant le transit.
Après un laborieux désensablement de la cale du chantier, le SNS 005 a été mis à l’eau le 14 juin 2022 et remorqué par la vedette SNS 295 Président Michel Morvan de Roscoff, ainsi que par le semi-rigide de Saint-Malo SNS 728 Gildas Cuny, jusqu’au port de Roscoff, tout proche. Il y a été pris en remorque le lendemain matin par le canot tous temps SNS 064 Président Joseph Oulhen de l’Aber Wrac’h, assisté du SNS 728. Malgré de forts courants de marée, il ne lui a fallu qu’une douzaine d’heures pour parcourir la centaine de milles marins (environ 185 kilomètres) qui le séparaient de Saint-Malo, où le Pourquoi pas ? II l’a accueilli.
« La météo était idéale, les safrans du SNS 005 avaient été très bien calés et il avançait tout droit, apprécie le patron du SNS 064, Yves Prigent. Comme prévu, l’équipage du SNS 728 a pu monter à bord à trois reprises pour vérifier que tout allait bien. » Sorti de l’eau, le SNS 005 est entré dans les ateliers du PSF dès le lendemain.
« On part d’une coque nue » Baptiste Fantin, directeur technique de la SNSM
« Il reste beaucoup à faire sur le SNS 005 », juge Fabien Albinana. Ce spécialiste des matériaux composites et des revêtements qui constituent la coque du navire sait de quoi il parle. D’ailleurs, en la peignant à Carantec pour la traversée, il a « déjà repéré des choses à reprendre ». Le chantier s’annonce long et complexe. « On part d’une coque nue, pour en faire un navire de sauvetage hauturier équipé jusqu’au casque du sauveteur », abonde Baptiste Fantin, directeur technique de la SNSM. Mais ses services ont la capacité de mener à bien cette mission. « Sur les trois bateaux qui étaient en construction chez Sibiril au moment de sa fermeture, seule la SNSM a été en mesure de récupérer le sien pour le finir. Nous le devons aussi aux bénévoles qui nous ont sacrément aidés à convoyer le bateau jusqu’à Saint-Malo. » Concrètement, le PSF et la direction technique vont procéder à une véritable « réindustrialisation » du projet. « Nous avons tous les périphériques du bateau à concevoir ou à installer », résume le chef d’établissement du PSF, Antoine Gallais, en évoquant « la motorisation, l’électricité, l’électronique et tout l’armement du canot »
Article rédigé par Dominique Malécot, diffusé dans le magazine Sauvetage n°161 (3ème trimestre 2022)