Un navire de 90 mètres de long surmonté d’une large cheminée et de deux grands mâts patiente au large de Biarritz en ce 27 janvier 1930. Cela fait quatre jours que le vapeur Knebworth, venu de Blyth, au nord de l’Angleterre, et chargé de 3 550 tonnes de charbon, stationne devant la barre de l’Adour. Plusieurs problèmes techniques l’ont empêché de franchir ce banc de sable pour rejoindre Bayonne.
Vers 17 heures, un coup de vent violent fait grossir la mer. Des lames monstrueuses balaient le navire, le faisant chasser sur ses ancres. Malgré le mouillage d’une autre ancre, le cargo à vapeur dérive pendant la nuit et s’échoue à 300 mètres au sud-ouest du phare de Biarritz. L’équipage s’est réfugié dans la superstructure1 et le rouf2 de la machine, mais un homme disparaît, enlevé par une lame. Il reste alors vingt-trois personnes à bord. Les naufragés lancent la bouée de sauvetage depuis le bord pour étudier le sens et la vitesse du courant. Celle-ci arrive au pied d’une falaise, d’où il sera impossible de débarquer d’un radeau de sauvetage qui suivrait le même parcours. L’équipage lance alors deux fusées de détresse.
Le navire se brise en deux
Aux alentours de minuit, sous la force des flots, le navire se casse en son milieu et un grand mât tombe. La moitié avant dérive vers l’est, tandis que la partie arrière, où se trouve l’équipage, reste sur place. Vers 1 heure, quelques éclaircies permettent de songer à établir un va-et-vient. Le chef de poste de Biarritz, accompagné de douaniers, installe un lance-amarres sur le plateau du phare. Atteindre le Knebworth à l’aide d’une fusée s’annonce complexe : le vent souffle fort, le navire est loin et il faut que la ligne tombe entre le mât de misaine3 et la cheminée pour pouvoir établir la connexion.
À 1 h 30, une première fusée manque son objectif. Une deuxième atteint sa cible et l’équipage parvient à haler à bord le va-et-vient. Mais, après une mauvaise manœuvre, celui-ci ne peut être établi. À 7 h 45, une nouvelle fusée atteint le but, mais les câbles s’emmêlent. Une heure plus tard, on parvient à envoyer l’aussière4, mais celle-ci, fatiguée par le raguage5 sur les rochers, casse près du navire au moment où elle est tendue.
Un naufragé coincé au-dessus de l’eau
Les sauveteurs n’abandonnent pas. Ils renvoient une autre aussière, permettant de faire passer des vivres sur le Knebworth. À 11 heures, un premier naufragé, suspendu au va-et-vient grâce à une bouée culotte servant de harnais, est ramené à terre. Cinq autres le suivent à intervalles de quinze minutes. Mais le cartahu6 double casse en raguant sur les rochers. On en renvoie un nouveau vers 12 h 30. Un septième homme est sauvé, mais à nouveau, l’un des deux bouts se rompt.
On renvoie la bouée culotte à bord par le simple bout en place. Mais le huitième homme reste en panne à mi-chemin, régulièrement submergé par les déferlantes. La seule solution est de couper le cartahu à bord du navire : l’homme est sauvé, mais la communication avec le navire est à nouveau rompue. Après plusieurs tentatives malheureuses du fait des coups de vent, la communication est rétablie, permettant de faire passer aux naufragés des vivres pour la nuit. Les canots de sauvetage de Socoa et de Saint-Sébastien tentent de s’approcher de l’épave, en vain.
Toutes les tempêtes ont une fin. Le lendemain, la mer est plus calme. Plus besoin de lance-amarres pour établir un va-et-vient : les quinze hommes restant à bord sont évacués par une chaloupe de pêche.
1 Superstructure : sur un navire, les superstructures sont des constructions permanentes situées sur le pont principal, mais ne s’étendant pas sur toute la longueur.
2 Rouf : petit logement.
3 Mât de misaine : mât situé à l’avant d’un voilier, devant le grand-mât.
4 Aussière : gros cordage utilisé pour l’amarrage.
5 Raguer : en marine, user par frottement.
6 Cartahu : système de cordage, téléphérique élémentaire tendu vers la terre ferme et supportant une bouée culotte.
Article rédigé par Jean-Patrick Marcq, diffusé dans le magazine Sauvetage n°165 (3e trimestre 2023)