Si le capitaine Haddock devait rencontrer Jack Sparrow, ça pourrait être là. L’Armada de Rouen, qui a lieu tous les quatre à six ans, est un rassemblement cosmopolite et bigarré de bateaux et d’équipages. Certains ont parcouru des milliers de milles pour y participer. « Nous sommes très fiers que les gens puissent visiter notre navire, souligne le capitaine Pedroza, marin mexicain à l’uniforme bardé de médailles. D’autres équipages d’Amérique du Sud sont venus pour l’occasion. »
Entre bateaux et touristes, les quais de la Seine sont noirs de monde. Le trois-mâts mexicain Cuauhtémoc est amarré à côté de la réplique d’un navire français du corsaire Surcouf : Le Renard. D’autres voiliers internationaux, comme le portugais Santa Maria Manuela et le polonais Dar Mlodziezy, forment une flotte anachronique et spectaculaire. Les visiteurs s’exclament devant ces bâtiments d’un autre temps. Leurs effusions se perdent dans un brouhaha de musique et d’émissions de radio dédiées à l’événement.
Les visiteurs font la queue pour monter sur les navires, dont certains des plus grands voiliers du monde, et échanger avec les marins. Près de ces bâtiments imposants, les semi-rigides de la SNSM et des pompiers enchaînent les rondes entre les berges et surveillent la surface de l’eau tout autour. Un dispositif qui a nécessité de longs mois de préparation. « On me parle de l’Armada depuis octobre 2021, indique une capitaine des pompiers. La présence de la SNSM est un véritable avantage pour la partie nautique. »
Surveillance de 10 heures à 2 heures
« Il faut répartir les sauveteurs sur l’ensemble de la Seine et organiser les roulements, précise Arnaud Kurzenne, inspecteur des nageurs sauveteurs (NS). Il y a trois équipes en journée et trois en soirée. » À l’image des équipages, les sauveteurs viennent d’horizons différents. Il y a les locaux du centre de formation et d’intervention (CFI) de Rouen, mais aussi des bénévoles venus de loin, comme Syrine et Florimond, deux Lillois. Sur place pour cinq jours, ils vont vivre leur première Armada. « Nous avons rarement la possibilité de participer à des dispositifs nautiques, expliquent-ils. C’était une belle occasion. »
Les deux Nordistes forment un groupe avec Stéphane, un sauveteur embarqué, à bord du semi-rigide SNS 641. Le trio fait partie des équipes diurnes, qui opèrent de 10 heures à 18 heures. Des groupes nocturnes prennent ensuite le relais jusqu’à la fin des concerts et des feux d’artifice, vers 2 heures.
Les touristes se massent sur le quai face au Canopée, navire conçu pour transporter des éléments de la fusée Ariane 6. Derrière ce cargo de 121 mètres aux quatre « ailes » articulées, les visiteurs les plus attentifs peuvent entendre le moteur du SNS 641. Le semi-rigide est un lilliputien face à ces géants de mer. Il continue sa ronde et arrive à proximité du Crocus M917 et du Lobelia M921. Sur le pont de ces chasseurs de mines de la marine belge, un soldat en treillis bleu les remarque. « Tout va bien ? », lui demande Stéphane. Le militaire acquiesce par un signe amical.
Les bénévoles poursuivent leur surveillance sous les puissants rayons du soleil. « Il fait chaud dans la combinaison, mais elle nous protège des UV », explique Syrine en appliquant de la crème solaire sur son visage. Heureusement, les courants d’air provoqués par les déplacements sur le bateau rafraîchissent l’équipage.
La ronde du SNS 641 le mène devant le stand des Sauveteurs en Mer. Un coup de klaxon de l’équipage salue les bénévoles qui proposent des produits dérivés et présentent l’association aux promeneurs. Puis Syrine, Florimond et Stéphane passent à proximité de la frégate corsaire Étoile du Roy. Ce navire datant de 1745 est venu de Saint-Malo pour l’Armada. Les sauveteurs contemplent son imposante voilure de 800 m², mais doivent rester vigilants. « Regardez l’embarcation derrière nous, avertit Stéphane en montrant un navire de touristes. Il y a plusieurs centaines de personnes à bord. »
Les bénévoles interviennent pour… un tronc d’arbre
Les sauveteurs n’ont pas encore eu à intervenir, mais la vigilance est constante. Ils peuvent être sollicités pour tout incident sur le fleuve. « SNS 641 de PC nautique, il y a un tronc d’arbre dans votre zone », crépite la radio de Florimond. L’équipage se dirige vers l’imposant morceau de bois et parvient à le hisser à bord. « Heurter cette souche abîmerait un bateau », commente Stéphane, les mains pleines d’écorce, avant de déposer le tronc sur le quai le plus proche.
Après de longues heures passées à naviguer, les bénévoles de journée quittent leurs bateaux. Ils échangent avec leurs remplaçants. Les zones dangereuses, le fonctionnement du festival… tous les détails sont transmis aux équipages nocturnes, qui écoutent attentivement.
Syrine, Florimond, Stéphane et leurs camarades de la journée prennent la direction de la base nautique de Hénouville, à un quart d’heure de Rouen. C’est dans cet endroit bucolique, au bord de la Seine, que les bénévoles sont logés pendant dix jours. Après une journée sous près de 30°C, les sauveteurs se libèrent de leurs chaudes combinaisons en Néoprène®. « On peut enfin respirer », souffle Syrine.
La Lilloise dresse le bilan de sa journée avec ses collègues. « Je suis heureuse de participer à un dispositif d’une telle ampleur, assure-t-elle. Même si les heures passées en plein soleil sont fatigantes. » S’il leur reste un peu d’énergie, Syrine et les sauveteurs du jour pourront se muer en touristes pour profiter des concerts et des feux d’artifice… mais toujours sous la vigilance de leurs camarades en semi-rigide.
Rémy Videau