« Pas un temps ni une heure pour sortir en mer », lance Jean-Marie Boada, dynamique patron du canot tous temps SNS 092 Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, basé à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales). « Quand souffle la tempête, on reste au port et on reporte son programme de navigation. » Le skipper de l’Argo Navis, une vedette de 16 mètres battant pavillon allemand, n’a pas eu cette sagesse. Depuis Sète, il appareille en fin de journée du 6 août 2023 avec deux passagers à bord. Cap vers l’Espagne, après une escale technique. Que les drisses chantent et tintent dans le port, que les propriétaires y vérifient leurs amarres, que les pavillons claquent dans les rafales de la tramontane, qu’importe ! Plus il s’éloigne de la côte, plus la navigation est difficile. Des vagues hargneuses de 3 mètres secouent sa vedette par le travers et la chahutent d’un bord sur l’autre. Bientôt, son bateau répond mal. De l’eau s’infiltre insidieusement au niveau des échappements humides, dont les colliers n’auront pas été correctement serrés. Elle bat dans la cale moteur, ajoutant à l’instabilité de la vedette. Si les moteurs diesel poursuivent leur fidèle travail, la batterie inondée refuse d’entraîner la pompe de cale. L’Argo Navis s’enfonce doucement, mais inexorablement. La submersion menace.
Par VHF, l’Allemand joint le CROSS Med (centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) et, dans un anglais approximatif, demande des secours immédiats. Alors que tombe la nuit, il n’y a personne dans la tempête pour répondre au Mayday relayé depuis le centre de La Garde. Le CROSS engage donc le Dragon 66 – hélicoptère de la Sécurité Civile de Perpignan – et le SNS 092 de Port-Vendres. Sur zone en douze minutes, à 24 milles au large (près de 45 kilomètres), non loin des eaux espagnoles, l’hélicoptère se présente pour un treuillage très délicat. D’abord, les liaisons avec le skipper en perdition sont difficiles. Personne ne parle sa langue natale. Lui ou son équipage n’ont pas un mot de français. Leur espagnol est inexistant. Leur anglais limité permet tout juste de coordonner la manoeuvre.
« Quarante noeuds de vent et des creux de 3 mètres, ça rend tout de suite la situation difficile »
La vedette fait demi-tour pour tenter de regagner la côte. Tandis qu’elle progresse à 10 petits noeuds, l’hélicoptère se présente à son aplomb en manoeuvrant avec précision dans le gros temps pour garder une hauteur constante. Interviewé par L’Indépendant – le quotidien local –, Guillaume Bonnard, chef de la base du Dragon 66, relate : « Quarante noeuds de vent et des creux de 3 mètres, ça rend tout de suite la situation difficile pour se placer en stationnaire au-dessus du bateau. Lui doit poursuivre sa route, au risque de couler plus rapidement. Tout cela avec un plongeur sauveteur qui se balance au bout d’un câble, à déposer sans qu’il ne se blesse. » Un travail d’artiste.
Aussitôt posé sur le pont, au plongeur de se libérer du câble en moins d’une seconde, d’assurer ses appuis, de passer une brassière à une première victime, un passager. Reste à récupérer le câble de treuillage que lui renvoie l’hélicoptère. Au treuilliste, maintenant, de remonter sauveteur et sauvé. Vite, mais en douceur. Au tour du suivant ? Non, le skipper entend rallier la côte pour sauver son Argo Navis. Il refuse d’être hélitreuillé. Idem pour sa femme, qui ne veut abandonner ni l’un ni l’autre.
Impossible de remorquer le bateau
Tenant l’embarcation dans le faisceau de son projecteur, l’hélicoptère guide le SNS 092. À bord, les neuf bénévoles ont suivi les échanges cahoteux entre le CROSS, l’hélicoptère et la vedette en perdition. Ils savent déjà que ceux qu’ils sont venus chercher sont aussi têtus que les vagues furieuses qui les battent par le travers. Les quarante et une minutes d’approche sont rudes pour les sauveteurs, dans leur bateau agité en tous sens. Tout en surveillant la marche du canot insubmersible, dont les filières sont parfois dans l’eau tant est fort le tangage, le patron Boada fait le tour de ses options. La tempête interdit de mettre en œuvre le passage d’une remorque. Ou de transborder deux canotiers avec une motopompe pour étaler la voie d’eau alourdissant le navire allemand sur son arrière. « On a donc escorté la vedette vers l’anse de Paulilles, raconte Jean-Marie Boada. Quand bat la tramontane, elle offre un abri, très relatif, pour organiser remorquage ou transbordement. Le remorquage de cette vedette, à chaque minute plus basse sur l’eau, laissait planer une menace : qu’elle coule dans la passe du port, bloquant tout le trafic ! » À Paulilles, la vedette choisit justement de se coucher sur tribord, prête à sombrer. Le skipper et sa femme se retrouvent bientôt en sécurité sur le SNS 092, qui marque l’épave et file vers Port-Vendres, regagné après une très difficile opération de presque quatre heures à se faire secouer.
Le lendemain matin, 7 août, l’Argo Navis est promptement renfloué par une équipe professionnelle désignée par son assureur, puis remorqué par la SNSM vers un chantier de Port-Vendres. Ses 400 litres de fuel en soute n’auront heureusement pas causé de pollution.
Nos sauveteurs sont formés et entraînés pour effectuer ce type de sauvetage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !