Mardi 8 août, 14 h 07. Les bénévoles de la station de Bandol reçoivent un appel. Une voix synthétique les informe : le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Méditerranée leur demande d’intervenir au plus vite. Le Rho, un bateau de 6,50 mètres, est victime d’une avarie moteur près de la pointe Fauconnière, à quelques milles nautiques du port varois.
Pas d’urgence vitale, a priori, mais il faut intervenir rapidement : un homme est à bord, et, sans moyen de manœuvrer, son bateau peut percuter un rocher ou une autre embarcation. Cette côte déchirée est prisée des vacanciers, qui jettent l’ancre dans ses petites criques bordées de pins et se baignent dans leurs eaux turquoise.
« J’arrive », écrivent instantanément plusieurs bénévoles sur le groupe WhatsApp qu’ils partagent. Quelques minutes plus tard, les premiers rejoignent la station. Les nageurs de bord enfilent leur combinaison Néoprène®, tandis que les autres préparent la vedette SNS 164 Saint Elme II et le semi-rigide SNS 7–009 Timothy. Bruno Mouchet, patron de la Saint Elme II, saute de son scooter. Le grand bonhomme aux cheveux poivre et sel est enseignant : en août, il est très souvent disponible pour intervenir.
Dix-sept minutes après l’alerte, les deux bateaux quittent le port de Bandol et se frayent un chemin dans le chenal entre voiliers et petits yachts. Bruno supervise l’opération. Il décroche le micro de la radio VHF. Placide, il prévient les opérateurs du CROSS du départ des deux embarcations et en profite pour récupérer plus d’informations sur le navire en détresse. « Cela fait vingt-trois ans que je suis sauveteur, sourit le quinquagénaire. J’ai appris à rester calme et à anticiper. »
Une fois quitté l’abri de la baie, la houle frappe les deux embarcations sur bâbord. Les bras enroulés autour d’une barre pour garder l’équilibre, le patron regarde droit devant lui en donnant quelques rapides indications à Denis, le barreur. Sur le pont arrière, Stéphanie et Stéphane, les deux équipiers, sont silencieux. Les moteurs hurlent pour maintenir une vitesse de 25 noeuds dans cette mer agitée.
Impossible de redémarrer le moteur après une heure de pêche en mer
Arrivée à la pointe Fauconnière. Aucune embarcation en difficulté en vue et la radio ne passe pas dans ces calanques encaissées. « Heureusement, le portable, si », s’amuse Stéphanie. Bruno téléphone « au requérant », comme disent les bénévoles de la SNSM dans leur jargon. L’homme, qui se trouve quelques centaines de mètres en arrière, a vu les embarcations de la SNSM passer devant lui. Une fois son petit bateau blanc repéré, le léger et maniable SNS 7–009 Timothy accoste le Rho, tandis que la vedette reste à distance. Quelques minutes plus tard, Jérôme, 45 ans, monte à bord de la vedette. « Je comprends pas ce qu’il s’est passé », lâche le plaisancier en s’asseyant sur une banquette dans la timonerie de la SNS 164. « Je me suis baladé en mer toute la matinée pour pêcher et je n’ai eu aucun problème. Et là, d’un coup, impossible de redémarrer ! » Cet habitant de La Ciotat a jeté l’ancre et tenté de ranimer son moteur pendant plus d’une heure, avant de se résoudre à appeler les secours. « J’avais déjà vu les bateaux de la SNSM, mais c’est la première fois qu’ils viennent pour moi ! », s’exclame-t-il.
Pendant ce temps, les bénévoles ont mis en place une remorque. Un bout de plusieurs dizaines de mètres permet à la vedette de tracter le bateau en panne. Dominique, un nageur de bord, reste à bord pour le gouverner. « Si tu trouves que ça tire trop fort, qu’il y a trop d’à-coups, tu nous préviens tout de suite », lui demande Bruno par radio.
Nouvelle alerte en plein remorquage pour les sauveteurs
Un lent trajet commence : impossible de dépasser 5 ou 6 nœuds dans cette situation, sous peine de rompre la remorque. Le bateau des sauveteurs est ballotté par la houle. Les équipiers regardent au loin pour éviter le mal de mer. « La seule fois où je l’ai eu, c’était en nageant, alors que j’étais fatigué et que j’avais faim. Je ne savais même pas qu’on pouvait le ressentir dans l’eau », s’étonne encore Stéphane.
La radio crépite. Les discussions s’arrêtent, chacun tend l’oreille. Un bateau pneumatique situé non loin est en panne de moteur et ses deux passagers paniquent. Quelques secondes de réflexion et Bruno décide d’envoyer le semi-rigide pour leur porter assistance.
La vedette continue de tracter le Rho. Sur bâbord défilent les hautes falaises blanches surmontées de pins verts.
Après une petite heure de mer, le port de Bandol est en vue. Mais, dans cette baie où naviguent de nombreuses embarcations, les sauveteurs doivent être particulièrement vigilants : un grave accident pourrait se produire si l’une d’entre elles avait la mauvaise idée de passer entre la vedette et le bateau qu’elle remorque. Denis, le barreur, surveille tout ce qui pourrait arriver par l’avant. Les équipiers, accrochés au bastingage, scrutent l’horizon derrière leurs lunettes de soleil polarisées. « On sait qu’à tout moment, il peut se passer quelque chose », souligne Stéphane.
Le convoi rejoint finalement le port sans encombre. Le SNS 7–009 est de retour, les plaisanciers en détresse ont été remorqués par un autre bateau. Le semi-rigide se met à couple avec le Rho et l’amène en douceur jusqu’à son emplacement. Jérôme, son propriétaire, adresse un salut à tous les sauveteurs avant de monter dans un bateau de la capitainerie. Les bénévoles remettent leurs bateaux à quai, puis s’empressent d’installer des pare-soleil sur toutes les vitres. Le port de Bandol cuit sous le soleil. Un coup de jet d’eau, qui séchera vite, nettoie les embarcations, déjà prêtes pour la prochaine intervention. Elle aura lieu moins de vingt-quatre heures plus tard.