Le bout du monde, à 2 kilomètres du centre de la populeuse Marseille. Le cap Croisette est un lieu aussi beau qu’austère. Depuis la mer, ce ne sont que rochers blanchis par le soleil et maigres buissons secoués par le vent. Ses eaux turquoise sont autant prisées des plaisanciers que des plongeurs, attirés par la riche vie aquatique qu’elles abritent.
Il est bientôt 17 heures, ce samedi 9 septembre 2023. Cheveux poivre et sel ébouriffés par le vent, Sébastien Tinard est aux commandes de la Monte Cristo. Le quinquagénaire, à la tête de l’entreprise Archipel Plongée, utilise cette vedette de 12 mètres pour faire découvrir les fonds marins à ses clients. Il rentre d’ailleurs d’une sortie avec vingt-huit personnes à bord, dont cinq moniteurs.
Alors qu’il traverse l’étroite passe qui sépare le cap Croisette de l’île Maïre, il est doublé par une vedette de plaisance d’une dizaine de mètres, dans laquelle sept personnes ont embarqué. « J’ai trouvé la manœuvre curieuse, il y a très peu d’eau à cet endroit-là », se souvient Sébastien Tinard. Sorti de la passe, l’autre bateau « accélère fort ».
« J’ai compris que ça allait être terrible »
Mais le barreur s’aperçoit tardivement que plusieurs personnes en paddle se trouvent sur son chemin. Il bifurque brutalement pour les éviter et fonce droit sur le Diplodus. Quatorze plongeurs ont pris place dans ce bateau en bois pour une journée de comptage des mérous. « Il va lui rentrer dedans », se dit instantanément Sébastien Tinard, qui a un « moment de sidération » avant le choc. « Il a décollé en passant par-dessus le bateau de plongée, dont il a arraché la cabine, poursuit-il. J’ai compris que ça allait être terrible, qu’il y aurait des blessés, et j’ai tout de suite mis les gaz pour les rejoindre. »
Quelques secondes plus tard, le patron d’Archipel Plongée est au cœur du chaos. « Il y a des débris partout sur l’eau, des gens qui crient, d’autres qui sont hagards, décrit-il. Sur les bateaux alentour, les gens sont bouche bée. J’ai immédiatement appelé le CROSS1 , en leur disant que c’était une scène de guerre. » Trois moniteurs se mettent à l’eau. Les deux autres lancent des bouées vers les naufragés.
Six blessés, dont trois graves, sont rapidement hissés à bord du Monte Cristo. Un plongeur – dont on apprendra plus tard qu’il a le pancréas et un poumon perforés – est inconscient. Un autre a les deux fémurs cassés. Heureusement, Sébastien Tinard et ses moniteurs sont formés aux premiers secours. Sans compter que, parmi ses clients, se trouvent un pompier, un secouriste et deux militaires.
Ils réagissent très vite : on fait de la place pour allonger les blessés, on déballe le matériel médical, on sort les bouteilles d’oxygène. Une fois les soins d’urgence effectués, il faut attendre que les secours arrivent. « Je sais qu’ils sont en chemin, qu’un hélicoptère doit intervenir avec un médecin à bord, témoigne Sébastien Tinard. Mais on patiente, on patiente, et c’est très compliqué dans la tête car on ne peut rien faire de plus. »
La SNS 152 de la SNSM, premier bateau de secours sur place
Le premier moyen de secours à arriver sur place, quinze minutes après le choc, est la SNS 152 La-Bonne-Mère-de-Marseille. Cette vedette de la SNSM est armée par cinq marins-pompiers, qui ont levé l’ancre dès l’appel de secours reçu. Leur caserne se trouve sur le port. « Nous sommes partis en urgence sans aucune idée de la gravité de la situation, précise le premier maître Grégory2, patron de la vedette. Au départ, en voyant les débris dans l’eau, on a pensé que l’embarcation avait coulé. Puis on a aperçu le bateau, complètement disloqué. Il ne restait que la coque et une personne assise au milieu. » Le patron de la SNS 152 demande au semi-rigide des pompiers qui vient de le rejoindre de lui porter assistance.
Car, au même moment, un navire de plaisance s’approche de la vedette. Il transporte une femme de 69 ans, qui hurle. Elle se plaint de douleurs au thorax et présente une plaie béante à la jambe. Les secouristes la prennent en charge. Pendant ce temps, le premier maître Grégory remarque le Diplodus au loin. Son équipage lui fait de grands signes.