Les conseils du directeur des Affaires maritimes pour l’été

Avec l’ar­ri­vée des beaux jours, les plai­san­ciers sont de retour sur l’eau. Le nautisme est une acti­vité à risques, très enca­drée par la loi. Point sur la situa­tion et l’évo­lu­tion de la légis­la­tion avec Éric Banel, direc­teur géné­ral des Affaires mari­times, de la pêche et de l’aqua­cul­ture (DGAMPA).

La multiplication des événements météorologiques violents, comme ici en Corse en août 2022, demande une grande attention de la part des autorités

Votre direc­tion contrôle les navires, gère les appels de détresse reçus par les CROSS – centres régio­naux opéra­tion­nels de surveillance et de sauve­tage – sur le canal 16 de la VHF ou le 196 pour les portables, ainsi que la régle­men­ta­tion de la navi­ga­tion. Quels sont vos obser­va­tions et vos conseils, en ce début d’été 2024 ?

Les inter­ven­tions de secours ont dimi­nué d’un peu plus de 3 % en 2023, ce qui est encou­ra­geant. Ces résul­tats sont cepen­dant très variables en fonc­tion des bassins de navi­ga­tion et des pratiques. Par exemple, les opéra­tions de sauve­tage pour des pratiquants de VNM – véhi­cules nautiques à moteur ou Jet-Skis® – ont augmenté et nous déplo­rons deux morts et dix bles­sés.
 
Il faut donc main­te­nir et ampli­fier nos actions de préven­tion et encore mieux sensi­bi­li­ser les plai­san­ciers et pratiquants de loisirs nautiques. En effet, au-delà des problèmes clas­siques d’ava­ries ou de détresses liées à la météo­ro­lo­gie, nous obser­vons beau­coup d’er­reurs humaines et d’in­ex­pé­rience, voire d’in­cons­cience. Cela peut exiger des contrôles et des sanc­tions, même si nous privi­lé­gions toujours la forma­tion et la préven­tion. 

Le climat change, les risques liés à la météo marine aussi ?

Nous sommes très atten­tifs à ces évolu­tions et les marins et pratiquants des loisirs nautiques doivent l’être aussi. Le 18 août 2022, la Corse a subi des grains et des rafales dont la violence n’avait jamais été vue et ne pouvait pas être anti­ci­pée. Il y a eu cinq morts, une centaine d’in­ter­ven­tions de secours en mer et des dizaines de bateaux endom­ma­gés ou perdus. Le CROSS La Garde a été très marqué par cet épisode. L’été 2023 a été plus calme mais a tout de même connu deux fortes tempêtes au mois d’août, Patri­cia le 2 et Réa le 28. Ces événe­ments peuvent suivre des périodes de calme et de soleil qui se révèlent trom­peuses.

Les acci­dents graves méritent sans doute une atten­tion parti­cu­liè­re…

Nous les étudions de très près avec les CROSS et le BEAmer (1). En 2023, nous avons enre­gis­tré 11 colli­sions, 2 explo­sions et 78 incen­dies. Il y a là un sujet de préven­tion, auquel l’ad­mi­nis­tra­tion a répondu en éditant et diffu­sant une fiche claire et synthé­tique sur la préven­tion des incen­dies de moteur in-bord essence (2). Nous y recom­man­dons forte­ment l’ins­tal­la­tion de détec­teurs de vapeur d’es­sence avec alarme sonore et visuelle.

Cet exemple illustre bien notre démarche, qui privi­lé­gie la préven­tion, sans pour autant écar­ter le registre répres­sif lorsque cela est néces­saire. Nous faisons parfois évoluer la régle­men­ta­tion en renforçant certaines exigences, mais nous essayons aussi en premier lieu de travailler à une prise de conscience et à une meilleure connais­sance des risques de la mer. Avec les fédé­ra­tions, nous iden­ti­fions et géné­ra­li­sons les bonnes pratiques. Ces recom­man­da­tions, plus souples et faisant appel au bon sens des utili­sa­teurs, ont aussi démon­tré leur effi­ca­cité. Il s’agit là d’une action à plus long terme bien sûr, et que nous condui­sons et condui­rons sans relâche. Par ailleurs, il nous faut cibler un public sans grande culture mari­time. 

Y a-t-il néan­moins des modi­fi­ca­tions de régle­men­ta­tion « dure » à souli­gner ? 

Incon­tes­ta­ble­ment. Pour les pilotes et passa­gers de VNM, comme les Jet-Skis®, nous impo­sons désor­mais le port d’un équi­pe­ment en Néoprè­ne® épais d’au moins 2 mm pour préve­nir les lésions par le jet en cas de chute à l’eau (3). De même, le port du coupe-circuit autour du poignet ou de la cheville, et non sa seule présence à bord, devient obli­ga­toire pour les pilotes de Jet-Skis® mais aussi pour tous les utili­sa­teurs de moteur hors-bord à commandes dépor­tées (4). Ces modi­fi­ca­tions de régle­men­ta­tion sont complé­tées de campagnes d’in­for­ma­tion desti­nées au grand public. Par exemple, un flyer et des vidéos sur le Jet-Ski® ont été conçus en concer­ta­tion avec les repré­sen­tants des usagers et des profes­sion­nels.

Qui dit régle­men­ta­tion dit éven­tuelles infrac­tions. Les lecteurs de SAUVE­TAGE trou­ve­ront dans les pages suivantes un repor­tage sur des stages de citoyen­neté propo­sés aux auteurs d’in­frac­tions, comme à la suite d’un excès de vitesse. Cela signi­fie donc que les sanc­tions peuvent être person­nelles, que la respon­sa­bi­lité des plai­san­ciers peut être enga­gée ? 

Oui, des contra­ven­tions de cinquième classe – d’un maxi­mum de 1 500 € – et des retraits de permis mer peuvent être pronon­cés. Il y a une respon­sa­bi­lité en mer comme sur la route ou à la montagne : celle du « chef de bord ». Il est respon­sable de la sécu­rité de son équi­page et de l’em­bar­ca­tion (voir enca­dré, ndlr). Comme pour les auto­mo­bi­listes, les plai­san­ciers auteurs d’in­frac­tions peuvent suivre un stage pour éviter les pour­suites. Ce stage de citoyen­neté pour plai­san­ciers ou profes­sion­nels ayant commis des infrac­tions de navi­ga­tion est proposé par la SNSM. Les expé­riences en cours me semblent concluantes et nous nous orien­tons vers leur géné­ra­li­sa­tion.

On entend parfois parler des risques liés à la consom­ma­tion d’al­cool ou de drogue…

C’est vrai. C’est un risque que nous surveillons tout parti­cu­liè­re­ment. Le secré­taire d’État chargé de la mer et de la biodi­ver­sité y est très atten­tif. Les chiffres nous indiquent que l’ef­fet de telles consom­ma­tions n’a pas été, jusqu’à présent, source d’ac­ci­dents graves. Elles consti­tuent cepen­dant des circons­tances aggra­vantes. Nous adap­te­rons, si néces­saire, la régle­men­ta­tion.

Pour ce qui concerne les zones proches de la côte, les plages notam­ment, nous avons parlé des Jet-Skis®. Avez-vous, concer­nant les loisirs nautiques, d’autres recom­man­da­tions tirées de l’ob­ser­va­tion ?

Oui, nous lançons une action sur les zones à fortes marées – forts marnages. Elles génèrent des risques parti­cu­liers, comme l’iso­le­ment des prome­neurs ou des pêcheurs à pied par la marée. Les courants sont égale­ment des sources de danger trop souvent mal appré­hen­dées par les nageurs et les petites embar­ca­tions.

En 2019, vous aviez rendu obli­ga­toire le marquage du maté­riel de kite­surf, dont les ailes. Quels sont les résul­tats ?

Cette règle, que nous avons élabo­rée avec les fédé­ra­tions spor­tives, commence à être bien comprise et respec­tée. Les usagers y trouvent aussi un inté­rêt pour récu­pé­rer leur aile. Nous insis­tons pour notre part sur le fait que c’est aussi un moyen de limi­ter les fausses alertes qui pèsent sur les Sauve­teurs en Mer. Les CROSS sont de plus en plus souvent appe­lés pour signa­ler une perte et éviter ainsi les inquié­tudes inutiles (5). De même, lorsqu’une aile est retrou­vée seule, à la dérive ou sur la plage, son marquage permet de lever le doute très vite sur l’exis­tence ou non d’une détresse.

Et pour ceux qui partent loin, de nouvelles régle­men­ta­tions ou recom­man­da­tions sont-elles en pers­pec­tive ?

Pour ceux qui font de grandes traver­sées hors de portée des stations VHF terrestres, nous conseillons désor­mais l’em­port d’un dispo­si­tif de commu­ni­ca­tion par satel­lite(6). Il s’agit, là encore, d’une recom­man­da­tion faisant appel au bon sens marin. C’est dans le même esprit que nous préco­ni­sons l’em­port et l’uti­li­sa­tion d’un récep­teur/émet­teur AIS dans et à proxi­mité des parcs d’éo­liennes. Ces dispo­si­tifs permettent de se signa­ler aux autres usagers sans ambi­guïté. Nous obser­vons atten­ti­ve­ment ce qui se passe dans les premiers parcs éoliens – Saint-Nazaire, baie de Saint- Brieuc – et nous en tire­rons, si néces­saire, des consé­quences au niveau de la régle­men­ta­tion natio­nale.
 
(1) Le Bureau d’enquêtes sur les événe­ments de mer mène des études appro­fon­dies sur les acci­dents graves ; il en tire des recom­man­da­tions et publie sur son site des rapports très instruc­tifs.
(2) SAUVE­TAGE a consa­cré, l’an­née dernière, le grand dossier de son numéro 164 au risque des incen­dies et explo­sions à bord.
(3) La flot­ta­bi­lité est assu­rée par ailleurs (gilet obli­ga­toire). Cet équi­pe­ment de type shorty ou combi­nai­son doit proté­ger le bas-ventre. Un méde­cin des urgences de Toulon, Muriel Vergne, égale­ment méde­cin réfé­rent des Sauve­teurs en Mer, a en effet attiré l’at­ten­tion sur des trau­ma­tismes pelviens graves infli­gés par le jet à de jeunes passa­gères éjec­tées vers l’ar­rière.
(4) SAUVE­TAGE évoque régu­liè­re­ment des bateaux sans pilote qu’il faut rattra­per ou dont l’hé­lice blesse grave­ment leur proprié­taire tombé à l’eau (n° 165, par exemple). Il faut avoir un deuxième coupe­cir­cuit à bord pour que le moteur puisse être remis en marche et le pilote récu­péré par ceux qui sont restés à bord.
(5) Un équi­pe­ment non marqué parti à la dérive (aile de kite, mais aussi bouée de signa­li­sa­tion de plon­geur ou autre) peut déclen­cher de longues recherches inutiles s’il n’est pas signalé.
(6) Au-delà de 60 milles d’un abri, une balise permet­tant de lancer l’alerte par l’in­ter­mé­diaire du réseau de satel­lites Cospas-Sarsat est obli­ga­toire. L’avan­tage supplé­men­taire du télé­phone satel­lite est de pouvoir commu­niquer, par exemple en cas d’ur­gence médi­cale.

 

Les responsabilités du chef de bord

On ne lit souvent de la divi­sion 240 – qui stipule les règles de sécu­rité appli­cables à la navi­ga­tion de plai­sance en mer – que les passages concer­nant le maté­riel de sécu­rité obli­ga­toire à bord, en oubliant le chapitre 1… où l’on parle de la respon­sa­bi­lité du chef
de bord en ces termes :
« Chef de bord : Membre d’équi­page respon­sable de la conduite du navire, de la tenue du jour­nal de bord lorsqu’il est exigé, du respect des règle­ments et de la sécu­rité des personnes embarquées.
Le chef de bord s’as­sure, notam­ment :

  • De l’adé­qua­tion de sa navi­ga­tion avec les carac­té­ris­tiques de son navire ;
  • De la présence à bord, du bon état et de la vali­dité de tous les équi­pe­ments et maté­riels de sécu­rité embarqués ainsi que de leur adap­ta­tion aux personnes embarquées ;
  • De la mise en œuvre desdits maté­riels lorsque les circons­tances l’exigent. »