Votre direction contrôle les navires, gère les appels de détresse reçus par les CROSS – centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage – sur le canal 16 de la VHF ou le 196 pour les portables, ainsi que la réglementation de la navigation. Quels sont vos observations et vos conseils, en ce début d’été 2024 ?
Les interventions de secours ont diminué d’un peu plus de 3 % en 2023, ce qui est encourageant. Ces résultats sont cependant très variables en fonction des bassins de navigation et des pratiques. Par exemple, les opérations de sauvetage pour des pratiquants de VNM – véhicules nautiques à moteur ou Jet-Skis® – ont augmenté et nous déplorons deux morts et dix blessés.
Il faut donc maintenir et amplifier nos actions de prévention et encore mieux sensibiliser les plaisanciers et pratiquants de loisirs nautiques. En effet, au-delà des problèmes classiques d’avaries ou de détresses liées à la météorologie, nous observons beaucoup d’erreurs humaines et d’inexpérience, voire d’inconscience. Cela peut exiger des contrôles et des sanctions, même si nous privilégions toujours la formation et la prévention.
Le climat change, les risques liés à la météo marine aussi ?
Nous sommes très attentifs à ces évolutions et les marins et pratiquants des loisirs nautiques doivent l’être aussi. Le 18 août 2022, la Corse a subi des grains et des rafales dont la violence n’avait jamais été vue et ne pouvait pas être anticipée. Il y a eu cinq morts, une centaine d’interventions de secours en mer et des dizaines de bateaux endommagés ou perdus. Le CROSS La Garde a été très marqué par cet épisode. L’été 2023 a été plus calme mais a tout de même connu deux fortes tempêtes au mois d’août, Patricia le 2 et Réa le 28. Ces événements peuvent suivre des périodes de calme et de soleil qui se révèlent trompeuses.
Les accidents graves méritent sans doute une attention particulière…
Nous les étudions de très près avec les CROSS et le BEAmer (1). En 2023, nous avons enregistré 11 collisions, 2 explosions et 78 incendies. Il y a là un sujet de prévention, auquel l’administration a répondu en éditant et diffusant une fiche claire et synthétique sur la prévention des incendies de moteur in-bord essence (2). Nous y recommandons fortement l’installation de détecteurs de vapeur d’essence avec alarme sonore et visuelle.
Cet exemple illustre bien notre démarche, qui privilégie la prévention, sans pour autant écarter le registre répressif lorsque cela est nécessaire. Nous faisons parfois évoluer la réglementation en renforçant certaines exigences, mais nous essayons aussi en premier lieu de travailler à une prise de conscience et à une meilleure connaissance des risques de la mer. Avec les fédérations, nous identifions et généralisons les bonnes pratiques. Ces recommandations, plus souples et faisant appel au bon sens des utilisateurs, ont aussi démontré leur efficacité. Il s’agit là d’une action à plus long terme bien sûr, et que nous conduisons et conduirons sans relâche. Par ailleurs, il nous faut cibler un public sans grande culture maritime.
Y a-t-il néanmoins des modifications de réglementation « dure » à souligner ?
Incontestablement. Pour les pilotes et passagers de VNM, comme les Jet-Skis®, nous imposons désormais le port d’un équipement en Néoprène® épais d’au moins 2 mm pour prévenir les lésions par le jet en cas de chute à l’eau (3). De même, le port du coupe-circuit autour du poignet ou de la cheville, et non sa seule présence à bord, devient obligatoire pour les pilotes de Jet-Skis® mais aussi pour tous les utilisateurs de moteur hors-bord à commandes déportées (4). Ces modifications de réglementation sont complétées de campagnes d’information destinées au grand public. Par exemple, un flyer et des vidéos sur le Jet-Ski® ont été conçus en concertation avec les représentants des usagers et des professionnels.
Qui dit réglementation dit éventuelles infractions. Les lecteurs de SAUVETAGE trouveront dans les pages suivantes un reportage sur des stages de citoyenneté proposés aux auteurs d’infractions, comme à la suite d’un excès de vitesse. Cela signifie donc que les sanctions peuvent être personnelles, que la responsabilité des plaisanciers peut être engagée ?
Oui, des contraventions de cinquième classe – d’un maximum de 1 500 € – et des retraits de permis mer peuvent être prononcés. Il y a une responsabilité en mer comme sur la route ou à la montagne : celle du « chef de bord ». Il est responsable de la sécurité de son équipage et de l’embarcation (voir encadré, ndlr). Comme pour les automobilistes, les plaisanciers auteurs d’infractions peuvent suivre un stage pour éviter les poursuites. Ce stage de citoyenneté pour plaisanciers ou professionnels ayant commis des infractions de navigation est proposé par la SNSM. Les expériences en cours me semblent concluantes et nous nous orientons vers leur généralisation.
On entend parfois parler des risques liés à la consommation d’alcool ou de drogue…
C’est vrai. C’est un risque que nous surveillons tout particulièrement. Le secrétaire d’État chargé de la mer et de la biodiversité y est très attentif. Les chiffres nous indiquent que l’effet de telles consommations n’a pas été, jusqu’à présent, source d’accidents graves. Elles constituent cependant des circonstances aggravantes. Nous adapterons, si nécessaire, la réglementation.
Pour ce qui concerne les zones proches de la côte, les plages notamment, nous avons parlé des Jet-Skis®. Avez-vous, concernant les loisirs nautiques, d’autres recommandations tirées de l’observation ?
Oui, nous lançons une action sur les zones à fortes marées – forts marnages. Elles génèrent des risques particuliers, comme l’isolement des promeneurs ou des pêcheurs à pied par la marée. Les courants sont également des sources de danger trop souvent mal appréhendées par les nageurs et les petites embarcations.
En 2019, vous aviez rendu obligatoire le marquage du matériel de kitesurf, dont les ailes. Quels sont les résultats ?
Cette règle, que nous avons élaborée avec les fédérations sportives, commence à être bien comprise et respectée. Les usagers y trouvent aussi un intérêt pour récupérer leur aile. Nous insistons pour notre part sur le fait que c’est aussi un moyen de limiter les fausses alertes qui pèsent sur les Sauveteurs en Mer. Les CROSS sont de plus en plus souvent appelés pour signaler une perte et éviter ainsi les inquiétudes inutiles (5). De même, lorsqu’une aile est retrouvée seule, à la dérive ou sur la plage, son marquage permet de lever le doute très vite sur l’existence ou non d’une détresse.
Et pour ceux qui partent loin, de nouvelles réglementations ou recommandations sont-elles en perspective ?
Pour ceux qui font de grandes traversées hors de portée des stations VHF terrestres, nous conseillons désormais l’emport d’un dispositif de communication par satellite(6). Il s’agit, là encore, d’une recommandation faisant appel au bon sens marin. C’est dans le même esprit que nous préconisons l’emport et l’utilisation d’un récepteur/émetteur AIS dans et à proximité des parcs d’éoliennes. Ces dispositifs permettent de se signaler aux autres usagers sans ambiguïté. Nous observons attentivement ce qui se passe dans les premiers parcs éoliens – Saint-Nazaire, baie de Saint- Brieuc – et nous en tirerons, si nécessaire, des conséquences au niveau de la réglementation nationale.
(1) Le Bureau d’enquêtes sur les événements de mer mène des études approfondies sur les accidents graves ; il en tire des recommandations et publie sur son site des rapports très instructifs.
(2) SAUVETAGE a consacré, l’année dernière, le grand dossier de son numéro 164 au risque des incendies et explosions à bord.
(3) La flottabilité est assurée par ailleurs (gilet obligatoire). Cet équipement de type shorty ou combinaison doit protéger le bas-ventre. Un médecin des urgences de Toulon, Muriel Vergne, également médecin référent des Sauveteurs en Mer, a en effet attiré l’attention sur des traumatismes pelviens graves infligés par le jet à de jeunes passagères éjectées vers l’arrière.
(4) SAUVETAGE évoque régulièrement des bateaux sans pilote qu’il faut rattraper ou dont l’hélice blesse gravement leur propriétaire tombé à l’eau (n° 165, par exemple). Il faut avoir un deuxième coupecircuit à bord pour que le moteur puisse être remis en marche et le pilote récupéré par ceux qui sont restés à bord.
(5) Un équipement non marqué parti à la dérive (aile de kite, mais aussi bouée de signalisation de plongeur ou autre) peut déclencher de longues recherches inutiles s’il n’est pas signalé.
(6) Au-delà de 60 milles d’un abri, une balise permettant de lancer l’alerte par l’intermédiaire du réseau de satellites Cospas-Sarsat est obligatoire. L’avantage supplémentaire du téléphone satellite est de pouvoir communiquer, par exemple en cas d’urgence médicale.