Jean Le Cam, quand le coureur devient sauveteur

Retour sur le Vendée Globe 2020. La soli­da­rité des marins est une vieille tradi­tion. Les coureurs la font vivre au large. Jean Le Cam partage son retour d’ex­pé­rience du dernier Vendée Globe.

Kevin Escoffier, accompagné de Jean Le Cam, à droite, à la suite de son sauvetage lors du dernier Vendée Globe
Kevin Escoffier, accompagné de Jean Le Cam, à droite, à la suite de son sauvetage lors du Vendée Globe 2021. © Jean-Marie Liot ALEA

D’un instant à l’autre, dès que l’or­ga­ni­sa­tion de course les informe qu’un concur­rent est en danger, les autres skip­pers se trans­forment en sauve­teurs. « C’est immé­diat. On passe tout de suite sur le mode « sauver l’autre ». Pas besoin d’en parler entre nous avant la course. On sait ce qu’on a à faire. C’est une évidence. » Jean Le Cam est le dernier d’une longue liste de « coureurs sauve­teurs » qui font la légende du Vendée Globe autant que ceux qui l’ont gagné. Il a d’ailleurs été lui-même sauvé par Vincent Riou, après son chavi­rage en janvier 2009 ; cette fois-ci, avec Yannick Besta­ven, Boris Herr­mann et Sébas­tien Simon, c’est lui qui a été dérouté pour recher­cher Kevin Escof­fier.

La diffé­rence avec les sauve­teurs, dont il appré­cie la présence rassu­rante et amicale, c’est qu’il est seul à bord. « On est au four et au moulin. Heureu­se­ment, on connaît bien nos bateaux. »

Être bien équipé pour faci­li­ter le sauve­tage

Les équi­pe­ments qui ont permis de retrou­ver Kevin Escof­fier et de le sauver sont en grande partie les mêmes que ceux que doivent embarquer les plai­san­ciers. Au-delà de 60 milles d’un abri, avoir une balise EPIRB est obli­ga­toire ; elle permet aux satel­lites de posi­tion­ner avec préci­sion l’ap­pel de détresse. Les coor­don­nées trans­mises par le CROSS Gris-Nez via l’or­ga­ni­sa­tion de course ont amené Le Cam droit sur Escof­fier, qui était réfu­gié dans son radeau, après avoir vu son bateau se plier sous lui. En approche finale, Jean Le Cam a été beau­coup aidé par son AIS1, qui captait direc­te­ment un signal de balise. La posi­tion du marin en détresse s’ins­cri­vait auto­ma­tique­ment sur l’écran dont se servent les coureurs usuel­le­ment.

En revanche, quand Le Cam est passé près du naufragé avec « une mer pas facile », il a manqué aux deux hommes la possi­bi­lité de commu­niquer par radio VHF (au-delà de 60 milles d’un abri, les plai­san­ciers sont tenus de dispo­ser d’une VHF portable en plus de la fixe). Escof­fier n’avait pas eu le temps d’en attra­per une. « On a cru se comprendre à demi-mot, mais on n’en­ten­dait rien », relate Le Cam. Une VHF portable dans le radeau de survie aurait aidé.

Jean Le Cam avait besoin de réduire encore la voilure de Yes We Cam ! avant de tenter d’em­barquer Kevin. Une fois la manœuvre termi­née, il avait perdu le naufragé ! Plus de signal de la balise. Éteinte ? Trop loin ? Trop de vagues ? La nuit tombait. Très inquiet de ne plus le voir sur son écran, Le Cam a hésité mais a conti­nué ses recherches de nuit, malgré la crainte clas­sique du sur-acci­dent. « Il y avait deux autres bateaux sur zone, plus, peut-être, l’épave du PRB de Kevin », précise-t-il.

Un flash lumi­neux dans la nuit sombre

Et, d’un coup, il a vu ce qu’il manque trop souvent aux sauve­teurs quand la nuit tombe : une simple lumière. « J’ai d’abord cru que c’était un flash, mais c’étaient juste les vagues qui me la cachaient par moments. » C’était la lumière du radeau de Kevin. Le Cam est passé assez près pour pouvoir lui envoyer un rescue tube, équi­pe­ment recom­mandé à tous les plai­san­ciers. « Heureu­se­ment, il l’a attrapé du premier coup. » Cette phase est très diffi­cile pour une personne à la mer peu entraî­née. Kevin a réussi à s’ac­cro­cher à une barre de trans­mis­sion à l’ar­rière et à remon­ter en s’ai­dant de quelques marches sur la coque.

Grâce aux trans­mis­sions par satel­lite, les télé­spec­ta­teurs du monde entier ont pu voir Escof­fier enfin à bord du bateau de Le Cam. Au cours de l’un des échanges radio qui ont suivi, Escof­fier s’ex­cu­sait de ce « désa­gré­ment » auprès des autres concur­rents. « Le sauve­teur est plus inquiet que le sauvé. C’était la même chose pour moi », conclut Le Cam.

1 – Le système auto­ma­tique d’iden­ti­fi­ca­tion permet de trans­mettre aux navires (équi­pés d’un récep­teur) les infor­ma­tions rela­tives aux navires émet­teurs dans un certain rayon (posi­tion, cap, vitesse, route, colli­sion, etc.).

Article rédigé par Jean-Claude Hazera.