La menace du feu concerne tous les marins, même les coureurs expérimentés sur des bateaux parfaitement préparés. En ce 13 novembre 2022, Fabrice Amedeo est engagé dans la célèbre Route du Rhum, cap sur la Guadeloupe. Comme les autres concurrents, il est seul à bord de Nexans - Art & Fenêtres, son grand monocoque IMOCA de 60 pieds (plus de 18 mètres), avec lequel il espère bien prendre le départ du prochain Vendée Globe en solitaire, en novembre 2024. Le bateau est équipé de ballasts, de grands réservoirs servant à faire passer une masse d’eau d’un bord sur l’autre pour limiter la gîte (lorsqu’une embarcation penche sur un côté) et garder plus de toile, donc plus de vitesse en remontant le vent. La mer est rude au niveau des Açores. Soudain, en tapant dans une vague, un ballast explose et 930 litres d’eau se répandent à l’intérieur du voilier. Fabrice évacue le gros de l’eau, mais estime avec son équipe qu’il faut réparer, d’autant que les batteries sont endommagées. Il n’a plus d’électricité et décide de faire route vers Cascais, au Portugal. Nouvelle alerte : de la fumée. Elle provient du compartiment batterie, qui ne s’est pas avéré aussi étanche qu’espéré. « Une cinquantaine de litres d’eau s’y sont écoulés », évalue le skipper quand nous en reparlons avec lui, quatre mois plus tard. Un court-circuit sur une batterie lithium-ion a déclenché un incendie. Le navigateur arrive à l’éteindre. Du moins, le pense-t-il. Le feu sur ces batteries peut reprendre après plusieurs heures. Et ça ne manque pas : le lendemain, fumée à nouveau.
Tout à coup, les flammes jaillissent
En alerte, le marin est déjà dans sa combinaison TPS (thermal protective suit), qui apporte de la flottabilité tout en maintenant au chaud et au sec. Le grab-bag (sac fourre-tout) étanche où sont rassemblés objets précieux et papiers est prêt. Entraîné aux réflexes de sécurité, plein de sang-froid (il va même se filmer dans sa survie avec son téléphone portable), l’athlète de 44 ans a pourtant bien failli y rester.
Il met le bateau à la cape pour dériver à vitesse réduite. Très vite, le skipper réalise qu’il n’est plus temps de maîtriser le feu. Le cockpit, sous lequel se trouve le parc de batteries, commence déjà à se gondoler. Il est tellement chaud que les embruns crépitent dessus. Tout à coup, les flammes jaillissent hors du bateau. Le réflexe de Fabrice est immédiat : il se retourne vers le radeau de survie, bien positionné sur le tableau arrière, sans obstacle, puis coupe les sangles qui le retiennent et saute dans le petit radeau gonflable… qui ne veut pas se détacher du bateau !
« Le couteau qui doit être en évidence dans la survie n’a pas été rangé au bon endroit à la dernière révision », explique-t-il. Même à la cape, le monocoque avance en traînant le radeau, qui se remplit d’eau. Les flammes prennent de l’ampleur et menacent le skipper sur sa petite embarcation. Évitant la panique, Fabrice finit par retrouver le couteau, se libère et adresse quelques mots à son cher bateau avant qu’il ne sombre.
Le coureur a prévenu son équipe grâce à son téléphone satellite. Il a aussi emporté une VHF, lui permettant de communiquer avec le cargo Maersk Brida, assez proche, qui le récupère relativement vite. C’est là que Fabrice réalise ce qu’il a vécu et que ses jambes se mettent à trembler.
L’émotion passée, il s’est tout de suite remis au travail et a déjà trouvé un nouvel IMOCA, qu’il prépare pour le Vendée Globe avec le même sponsor. Plus que jamais convaincu de l’utilité des formations sécurité, il va bien évidemment se préoccuper du parc batteries de son nouveau bateau, sujet dont s’est déjà emparée la commission sécurité de la classe IMOCA.
Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le magazine Sauvetage n°164 (2ème trimestre 2023)