Presque sept ans après, il arrive enfin à en parler. « Avant, je n’aurais pas pu », avoue Safir Ennassiri. Il a dû faire « un gros boulot » sur lui-même, aidé notamment par Mikel Epalza, aumônier des marins à Saint-Jean-de-Luz, pour surmonter cette peur « immense ».
Fin juillet 2016. Ce soir-là, dans sa couchette du fileyeur Samatheo, au large de la côte landaise, le jeune homme dort, comme trois autres membres de l’équipage, avant le premier coup de filet. Il ne réagit pas tout de suite quand le matelot de quart vient chercher le patron à cause d’un dégagement de fumée venant de la cale moteur. Lorsque Safir voit ce qu’il se passe, la situation est déjà hors de contrôle. Il fait chaud. La trappe d’aération ouverte au-dessus du pont arrière couvert où les marins traitent le poisson fait appel d’air. Le radeau de survie, stocké sur le toit comme s’il ne devait jamais servir, est déjà inutilisable. Les filets alimentent le feu. « C’est allé très, très vite », se souvient Safir. Il se réfugie à l’avant du bateau. Menacés par les flammes et la fumée, les quatre hommes d’équipage n’ont d’autre choix que de sauter à l’eau, sans rien. Même pas les gilets de sauvetage, inaccessibles.
Trois d’entre eux sont suffisamment bons nageurs et assez résistants à l’hypothermie. Le quatrième ne savait, semble-t-il, pas bien nager et était totalement paniqué. Au point que les autres ne sont pas parvenus à l’aider sans se mettre en danger. « C’était épouvantable », lâche le jeune marin.
Les naufragés n’osent pas s’agripper au bulbe avant du bateau, qui n’a pas encore coulé, de peur d’une explosion. Ils tentent de créer un peu de flottabilité avec des bottes retournées, enfermant de l’air. Ils demeurent ainsi « entre quarante-cinq minutes et une heure dans l’eau », selon le Bureau d’enquêtes sur les événements de mer (BEAmer). Une éternité.
Quand l’hélicoptère de la gendarmerie récupère deux d’entre eux, le patron reste à l’eau en attendant la vedette des douanes en soutenant le corps de son marin sans vie, pour au moins ramener la dépouille à la famille. Depuis ce drame, Safir sait toujours où se trouvent son couteau, son vêtement à flottabilité intégrée (VFI) et la VHF portable. Celui qui était stagiaire naviguant avec une dérogation lors de l’accident – il n’avait donc pas obtenu de certificat d’initiation nautique – milite pour que les marins soient formés avant de prendre la mer. Et il est convaincu qu’à la pêche, il faut stocker le radeau de survie sur le pont avant. Mais il a toujours un regret : « On était tellement paniqués que l’on n’a pas jeté à l’eau des objets qui auraient pu flotter et nous aider à tenir. »
Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le magazine Sauvetage n°164 (2ème trimestre 2023)