La mise au point des fusils lance-amarres est intimement liée aux avancées techniques sur les armes à feu du début du XIXe siècle, notamment lors des campagnes napoléoniennes. Une technologie développée en temps de guerre qui servira également à sauver des vies en temps de paix.
Ces procédés, révolutionnaires à l’époque, projettent un filin à l’aide de fusées. Cela permet d’apporter vers les naufragés le matériel nécessaire à l’établissement d’un va-et-vient. Tendu vers la terre ferme et supportant une bouée culotte, ce système de câble offre la possibilité d’évacuer les personnes une à une. La première évocation d’un lance-amarre date de 1791. Jacques-Joseph Ducarne de Blangy, agronome français, imagine un mécanisme de lancement de cordeau de sauvetage propulsé par « une bombe avec une fusée volante de terre à bord ou de bord à terre », qui reçoit alors un accueil défavorable.
Seize ans plus tard, de l’autre côté de la Manche, le capitaine George William Manby assiste, impuissant, au naufrage du HMS Snipe, pris dans une violente tempête, faisant plus de deux cents morts. Reprenant une expérience de sa jeunesse, il met au point un mortier capable de lancer une ligne vers un navire échoué. Il est utilisé dès cette même année 1807 avec succès.
Des armes offensives reconverties
Avec le retour de la paix en Europe, la reconversion des appareils offensifs en solutions d’aide au sauvetage se multiplie. Des pyrotechniciens de toutes nationalités déposent des dossiers auprès des sociétés de sauvetage pour faire connaître leurs inventions.
Le dispositif de Manby, adopté à partir de 1814 par les autorités britanniques, conduit à la création d’une quarantaine d’installations de mortiers le long des côtes de Grande-Bretagne, et permet de sauver plus d’un millier de personnes.
1 500 postes équipés sur les côtes françaises en 1914
Ces dispositifs n’arrivent vraiment en France qu’en 1866, alors que le Royaume-Uni aligne déjà 281 postes de lance-amarres, 93 mortiers et 188 appareils à fusées. L’amiral Rigault de Genouilly, président de la Société centrale de sauvetage des naufragés (SCSN), fixe deux objectifs prioritaires : d’une part, l’acquisition de canots insubmersibles et autoredressables, d’autre part, l’achat de lance-amarres.
Des installations sont réalisées petit à petit sur tout le littoral. En 1914, on dénombre 1 500 postes de mortiers ou fusils lance-amarres, servis par 2 300 personnes appartenant, pour la plupart, aux douanes. Mais, les navires devenant plus manœuvrants et moins sujets aux échouements, la SCSN réduit progressivement le nombre de postes. Dans les années 1930, elle adopte l’emblématique pistolet lance-amarres inventé par William Schermuly. La mise à feu, assurée par la cartouche du pistolet, propulse une fusée très légère, au recul insignifiant, entraînant une ligne de 4 millimètres pour une portée de plus de 300 mètres. Ce pistolet, d’une redoutable efficacité tant en mer qu’à terre, entre en service dans les stations de la SCSN et équipe un grand nombre de canots.
Avec le développement des embarcations motorisées et agiles, le recours à des lance-amarres se réduit. En 1989, la SNSM ferme la dernière station porte-amarres à Arès en Gironde. De nos jours, la présence des hélicoptères, l’utilisation des canots pneumatiques et semi-rigides sans tirant d’eau, voire d’aéroglisseurs, offrent les moyens d’aborder plus rapidement et sûrement les naufragés. Seuls les lance-amarres de bord en version pneumatique continuent d’être en service, notamment sur les NSH1.
Article rédigé par Jean-Patrick Marcq, diffusé dans le magazine Sauvetage n° 165 (3e trimestre 2023)